Il avance sur le quai d’un air nonchalant. L’air est humide, la bruine immobile, le ciel touche le sol. Il entend une voix annonçant le départ d’un train sur le quai 2 et il hésite un instant : repartirait-il vers cet ailleurs indiqué ? Non, il ne peut pas renoncer. Pas maintenant. Il sort de la gare et remarque que l’Hôtel de la Cloche qui se trouvait autrefois juste en face de la sortie principale n’existe plus et a été remplacé par un fast-food identifiable mais sans identité. Il soupire. Le monde change.
Il tourne à droite et remonte la rue principale. Il se souvient du notaire, ce bel homme élégant qui habitait la maison « le Magnolia » bien connue des habitants et légèrement en retrait de la rue. Il se souvient surtout de cet homme éduqué qui regardait sa femme d’un regard qui l’était moins. Il détourne le regard et accélère le pas. Il ressent l’urgence d’arriver, cette urgence qui est née sans lui en donner la raison. Il sait juste qu’il doit y aller. C’est comme ça.
Il continue de remonter la rue. Des voitures passent, l’éclaboussent et le bruissement de l’eau sous les pneus lui rappelle qu’il est en Belgique. Ces gouttes de pluie ne sont rien d’autres que les larmes d’un pays constamment oublié, il se dit.
Arrivé à hauteur de la petite chappelle, il tourne à droite et prend la ruelle des Loups, celle qui descend vers la ville. Il s’arrête un instant, inspire et se rappelle ces trajets maintes fois effectués pour aller chercher les oeufs, pour aller voir Edgar, pour sortir le chien, pour ne pas oublier de. Le passé tente de se frayer un chemin sans encore y parvenir.
Il sent qu’il doit y aller s’il veut la retrouver.
Encore un soupir. Il descend la ruelle et peste sur sa veste trempée. Ses cheveux le sont aussi. Il aurait dû penser à prendre un parapluie mais ça l’aurait encombré dans le taxi, dans le train, tout ça. Il relève la tête. Il est arrivé.
Une émotion le parcourt : la grille est toujours là, haute et rouillée. Les barreaux terminés en forme de pointes indiquent la direction du ciel sans plus de motivation que celle d’être inutile. Il pousse la grille qui racle le sol. Elle n’avait pas envie d’être dérangé. Il voit que la végétation a pris le pas sur le sentier d’accès, mais il devine encore le chemin. Les derniers pas sont les plus durs, il le sait. Son coeur se bat. Les larmes accourent. Il inspire et il avance. Son pas ralentit. Il regarde son passé. Il regarde son avenir. Et il a envie de plonger.