Comme je l’ai dit précédemment, tout ce qui vit est inachevé. La mort apparaît comme une fin en soi ou plutôt, une fin de soi. Et Rose n’en veut pas. Elle a trente ans, vit sobrement et est heureuse dans leur maison de la Ruelle des Loups où elle cultive les mots, élève des phrases et où ces moissons la nourrissent chaque jour. Mais elle ne veut rien terminer. Ni ses phrases, ni les nouvelles, ni les repas. Elle a pour habitude de tout laisser en suspend ou en suspens. Cela rend son entourage perplexe et c’est justement ce sentiment qui lui convient.
Les activités dans la région ne sont pas légions, c’est pourquoi elle se contente de ce qui existe. Elle aime se promener dans son quartier car la proximité des habitants permet de pouvoir se raconter. En réalité, il s’agit là d’un incroyable vivier d’idées, de paroles et d’histoires qui lui donne énormément d’inspiration. Elle aime descendre la rue principale qui rejoint la gare de la ville. Elle connaît chaque pas de porte, chaque habitude et vient récolter les petites histoires locales au fur et à mesure de ses déplacements: les voisins qui ont laissé le chien aboyer toute la nuit, le pharmacien qui a perdu sa maman il y a deux jours alors qu’elle était encore valide, l’élégant notaire qui passe prendre des nouvelles. Elle a aussi appris que Liliane avait surpris Eric avec Marie en situation inconvenable et que cela durait depuis in p’tit timps, qu’une grosse dispute s’en était suivie et qu’Edgar avait dû intervenir. La suite au prochain passage, la suspension est de mise pour garder tout l’intérêt. Et Rose apprécie cela. Elle aime la vie simple, son mari, Samuel, le calme de sa maison, le nom de sa ruelle. Elle savoure la vie quotidienne. Elle goûte la musique des mots, en wallon ou en français. Elle les récolte, elle les retient et les assemble en attendant de les déposer.
Elle suppose que le chat reviendra. Elle espère qu’il n’est rien arrivé au garagiste. Elle pense à Marceline qui lui a dit qu’elle aimerait retourner à la caravane cet été. Elle se dit que Marceline est bien étrange car elle n’a pas de caravane et l’été, c’est dans dix mois.
La vérité, c’est que Marceline a perdu sa tête quelque part et n’arrive pas à la remettre en place. Elle a la chance de n’en être pas consciente et de croire que sa vie n’en est qu’à ses débuts. Et c’est là toute la poésie de son quotidien car rien n’est rattaché à la réalité. Elle rêve de sa caravane imaginaire toute ronde, elle pense au Roi Baudouin qui est si gentil, elle souhaite prendre le Concorde un jour pour aller aux zétazuni quand la guerre sera finie et que les allemands seront partis, elle aimerait rencontrer Claude François un jour, elle peste sur Gustave qui dort sous une pierre dans le cimetière car il n’a pas retrouvé le chemin de la maison.
En réalité, Gustave est mort mais Marceline l’a oublié. Elle se dit qu’il dort là-bas, elle se dit qu’il a sûrement trop bu de bière et qu’il finira bien par rentrer plus tard. Mais pas trop vite, qu’elle dit, car quand il rentre et qu’il a bu, Gustave, il n’est pas très tendre avec moi, ouf’ti, non ! Souvent, il s’approche bien trop près qu’elle dit, il me soulève la jupe et plonge sa main dans ma culotte. Alors, l’odeur de l’alcool, les phrases qui veulent rien dire, sa force énorme, tout ça, ça me terrorise ! Donc quand ça arrive, je préfère me laisser faire.
Ne pas se défendre et laisser son mari la violer.
Elle a longtemps espérer qu’un jour il ne rentrerait plus. Mais Gustave était coriace. Il était imposant sans être musclé. Il portait un tatouage dans une forme indéfinie qu’il avait lui-même réalisé sur le bras gauche, ce qui avait pour conséquence qu’il se déplaçait principalement en singlet (ou en marcel, mais Marceline n’aimait pas ce mot). Il avait une moustache épaisse et un accent bien du cru. Il travaillait comme grutier dans la scierie de la ville et par ce fait, connaissait tout le monde. Gustave buvait beaucoup, riait beaucoup, mangeait beaucoup. Un jour, Gustave n’est pas rentré. Marceline ne se souvient plus de comment c’est arrivé, mais il n’est jamais rentré. Elle pense qu’il est quelque part. Elle a peur qu’il ne surgisse. Alors pour s’en protéger, elle s’invente un monde. Elle s’invente une caravane, elle espère un concorde, elle aime un Roi vivant, Alexandrie, Alexandra… C’est ainsi qu’elle voit s’écrouler les secondes en silence.
Marceline n’aime pas le marcel de Gustave… il y a quelque chose tout le long du texte comme un truc de ne pas vouloir y dire j’ai trouvé, dans ce refuge de jeux de mots, sauf à la fin, le pot aux roses qui là n’est effectivement pas a rose is a rose etc
Merci pour la justesse de ce commentaire et d’avoir pris le temps de me lire…..