#enfances #01 | Pépé Yvon et Mémé Alice

12/11/2023

Pépé Yvon

C’est très étrange à écrire. Je crois bien que c’est la première fois de ma vie que je l’écris. Pépé Yvon. Et à chaque fois que je l’écris, j’ai l’impression que les couleurs…se ravivent. Pépé Yvon.

Quel plus beau prénom ? La preuve, ma mère s’est crue obligée d’appeler son fils Rodolphe—Herrman pour tenter de s’en détacher. Comme si elle avait cherché les lettres les plus dures pouvant couper le lien filial.

13/11/2023

Vérification occurrence « Pépé Yvon » dans l’outil en cours…la barre verte se remplit sans donner aucun signe d’occurrence. « Travail en cours », tu m’étonnes.

« Mais pourquoi tenez-vous tant à laisser tous les échafaudages ??? »

Je ne répondais jamais plus que d’un regard baissé de déception. Mais je continuais toujours à laisser « les échafaudages ». Et si. Et si quelqu’un trouvait un jour « sa » pépite dans ces échafaudages ? Qui suis-je pour les enlever, ces pépites que je suis incapable de trouver par moi-même ?

Ah ben quand on cherche, on trouve…j’avais pas prévu de tomber là-dessus. Le testament. Mal scanné, ‘videment. Franchement, même moua j’aurais fait un effort pour mieux contrefaire la signature de ma mère. Finalement, c’est une bonne école, dans le sens efficace du terme. Il y a un moment où la déception atteint un tel niveau, qu’on s’étonne à peine du manque d’esthétisme.

Deux fichiers photo corrompus. Tant pis. Tant mieux. Je n’ai donc pas de photo de Pépé Yvon.

Rien.

Un béret. Ca c’est sûr. Je le sais, parce que c’est celui que j’ai perdu. Décidément, si vous tenez à quelque chose, tenez le surtout loin de moi. Un béret de Charente maritime, parce que je ne connais pas le nom de ce béret. Je n’ai pas envie de le chercher non plus. Si j’avais dû le savoir, je l’aurais su, c’est tout.

Ses yeux. Bleus ! délavés je dirais aujourd’hui. Un corps rond, de partout ! Comme un de ces nounours de Noël. Le visage aussi, du coup. Des mains qui ont travaillé toutes leurs vies, on aurait dit que des huîtres s’étaient imprimés dans le creux de ses mains. Peut être que si j’avais cherché alors, j’aurais trouvé une ou deux perles.

Il me payait toujours un jeu d’arcade quand on allait faire les jeux de Mémé Alice, au PMU du Château. Sur ces vieilles bornes, avec une pièce de 5 francs. Happée que j’étais par l’écran énorme, je ne me retournais jamais. Je ne l’ai donc jamais vu boire son canon. Sauf une fois. On était assis à une table, peut être ce jour-là n’avait-il pas de pièce de 5 francs pour me payer un jeu. Il y avait un verre en face de lui et un verre en face de moi. Je crois que c’était un sirop de citron jaune, je me souviens d’une couleur jaune. Et d’une couleur noire. Et de Mémé Alice qui passe devant la vitrine. Et de Pépé Yvon qui, dans un geste que je ne lui connaissais, furtivement, échange les verres. Et la seconde d’après, Mémé Alice est assise avec nous à la table.

« -Et c’est toi qui boit ça, c’est ça ? 

J’ai lancé un regard à Pépé Yvon, et j’ai essayé de faire ce que je croyais devoir faire…sans vraiment rien comprendre de ce qui se passait… 

« Euh…oui…

-Et bien, vas-y ! bois ! »

J’ai bu. C’était pas bon. En regardant Pépé Yvon dans ses grands yeux bleus, j’ai compris que je ne me trompais pas. J’ai donc bu le verre en entier, probablement en faisant la grimace, mais en entier. Je devais avoir 5 ans peut être. J’ai toujours juste essayé de faire « ce qu’il fallait faire », sans rien comprendre. Mais ce jour-là, Pépé Yvon, dans mes petits yeux, est devenu moins fort. Plus humain que nounours.

Mémé Alice

La voix stridente, le corps tendu, le cerveau toujours opérationnel. Une machine. Elle savait tout, tout le temps, sur tout le monde. Rien ne lui échappait. Elle avait les yeux bleus elle aussi. Mais pas le même bleu. Un bleu froid d’où pouvait sortir des rayons de glace. Ça c’était quand on ne comprenait pas qu’il fallait se mettre à l’abri quand sa voix se mettait à monter très haut. Croyez-moi, on l’apprend vite.

Un jour qu’elle préparait le déjeuner, Rodolphe et moi on est arrivés pour regarder. Il y avait dans une assiette quelque chose qui avait l’air mou, chaud, imbibé d’un liquide blanchâtre, à moins que ce ne soit le liquide blanchâtre qui soit parsemé de morceaux mous…on n’aurait pas su dire.

« c’est quoaaa ???? »

« De la cervelle !!! »

Course aux toilettes. Et Alexia, casaque blonde longue semble bien partie mais est vite rattrapée par Rodolphe, casaque blonde courte qui la bloque contre le mur dans le virage droit et atteint la ligne d’arrivée !!!

Le rire de Mémé Alice. Ce rire gras, se répercutant sur toute chose entre elle et nous, courants, fuyants, ce rire qui se répand sur nos corps comme le liquide blanchâtre sur les morceaux de. Ce rire de « A », il n’y avait que des « A ». Ce rire. Gras et acide à la foi.

A propos de Alexia

Chercheuse par diplôme (Master 2, 2018) en littérature anglaise du 20ème siècle à Tours, indépendante car pas rattachée à une université pour l'heure, je fais des mousses au chocolat, des îles flottantes, du pain perdu caramel, des meringues, des crèmes brûlées...un jour, j'arriverais au niveau de la tarte au citron de Blanche!!! je l'aurais un jour!!! je l'aurais!!! En attendant, j'épluche aussi des pommes...