D’ailleurs, le soir, regarder la maison m’est presque impossible, comme dormir dedans, il fait doux, la chance, la catastrophe se produit en mai ou juin, je ne sais pas, je ne peux quand même pas lui demander « c’était quand, la première fois ? » Quand on a – il a – décidé qu’on rentrerait du théâtre en échangeant nos passagères, nos légitimes, nos épouses, oui, oui devant le maire, devant le curé pour faire plaisir aux familles, là j’aurais dû dire non tout de suite, congédier cet esprit libéral du temps, tout est permis et tutti quanti, ou peut-être la fois où tu es rentrée tard en me racontant un film, tu savais bien que je n’irais jamais le voir pour vérifier, scénario de Duras qui me fait peur avec ses grosses lunettes, je n’en peux plus de ces intellos, dire qu’elle est allée chercher Robert Antelme à Dachau, je n’en peux plus de tout ce non-dit, d’ailleurs, si je regarde la maison, comme tous les soirs, je ne vais plus penser qu’à cela, elle va monter dans sa chambre, je vais voir la lumière filtrer par les persiennes, si je ne regarde pas c’est encore pire, elle est peut-être sortie par l’autre côté, est-ce qu’elle non plus, dormir dans la maison ?… alors j’étale mon tapis de sol, mon duvet sur la pelouse, je tourne le dos, dans la fraîcheur du soir je pense à ces nuits de camping sauvage au nord de l’Allemagne, en route pour Göteborg, tu te réveilles trempé de rosée, ailleurs ; la chienne s’allonge contre moi, on se tient chaud, de temps en temps, elle se retourne, grogne, rêve, ou c’est moi, je ne sais plus dans quel jardin je dors, le mien – le nôtre pour l’instant – ou celui de mes parents, fenêtres à petits carreaux reflétant la Voie Lactée, sœur lumineuse de Guillaume, c’est moi qui rêve d’envoyer péter la société de consommation, ces utopies me réveillent parfois, la vie communautaire, l’autarcie… qu’est-ce qui m’a pris de lui donner le métier à tisser rapporté de chez Johanson, oui, Johanson, quand les douaniers l’avaient vu sur la galerie de ma 105, ils voulaient saisir, j’avais déclaré « bois de chauffage », ils avaient bien rigolé, où est-il maintenant mon vävstol, en hêtre poli par les mains des femmes de là-haut, dans quelle maison, plus dans la nôtre, doit être pour ça que je ne peux plus regarder, plus regarder, plus dormir dans la maison sans penser qu’il y manque quelque chose, un seul (h)être me manque, je l’ai laissé partir, j’aurais dû le fracasser sans frémir !
ah oui « un seul (h)être »… j’aime beaucoup. merci
Oui, enfin, sans doute en pin du nord, mais les mots sont les mots…
JM