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Bruits
Alors, ça se passe toujours de la même manière, on me voit arriver appuyé sur mes béquilles, on me demande si ça va mieux, qu’est-ce que je peux leur répondre, ils me voient crapauder sur mes quatre guibolles… oh, je dis que oui, que oui, que coui coui / alors ils me proposent un bon fauteuil, un voltaire ou une bergère dans lequel poser mon cul, ils m’apportent un verre de champ et une assiette de trucs salés, je carre les béquilles sous le siège, bruit de tubes entrechoqués, « il y a eu un bruit… », fin de la phase d’accueil, je sais bien que c’est Angèle qu’ils ont invitée, pour l’entendre parler du Clown Clarck, du festival d’Avignon, ça ne loupe pas, ça s’est bien passé ?, la question qui tue, le fric, parlez-moi du fric, des contrats… / alors, je pourrais m’endormir sur mon verre, il y en a toujours un pour repérer mon voltaire ou ma bergère à l’écart, je me tortille, remue les jambes, heurte les… « il y a eu un bruit », pour se rappeler que j’ai été champion cycliste, s’approche prudemment, oh ne pas brusquer l’invalide, endormi, le nez dans les cacahuètes, « l’aborde humblement, entre en propos et lui fait compliment de son ( ) qu’il admire » / alors, c’est humain, j’ai envie de parler, parler, sasser, ressasser, décrire la montée de l’Espérandieu en solitaire, à la poursuite de mes potes et adversaires, Albert, Gégé, le Cachalot, Lopez, dans les trente-quatre virages, épingles, où tu cherches le meilleur braquet, pourtant tu ne vas pas parler technique avec ce « pollo », parler du bruit « il y a eu un bruit », te raconte sa montée du Ventoux par Malaucène, échoue quatre fois par Bedoin, sa participation, ne manquerait pas une fois l’Ardéchoise ou la Drômoise, je vois venir le moment des conseils… Campagnolo # Shimano, l’Italie # le Japon / alors j’utilise une de mes tactiques favorites, fasciner l’importun, raconter le roman-cycliste que je prétends avoir écrit, refusé par tous les éditeurs, même québécois, j’avais pris un pseudo, Marigar, pour qu’on ne me fasse pas une faveur, ça marche, je réussis à éloigner mon adorateur à pédales ; bien sûr je ne racontais pas l’accident, l’hélico… ni ce qui avait précédé, le bruit, Angèle m’a raconté, « tu n’arrêtais pas de répéter – il y a eu un bruit », je me tourne vers la salle où elle est très entourée, on lui demande si elle écrit un nouveau spectacle pour Clarck, non, pas pour l’instant, Grosse Fringale devrait tenir encore quelques saisons, d’ailleurs, à Avignon, je connais un duo de clowns qui tourne, fait salle comble depuis trente ans avec le même programme / alors, coup de cymbale sur le ronron des conversations, le bruit revient, mais quel genre, me demande un autre gazier, je ne l’avais pas vu venir, celui-là, vous étiez à fond ? métallique, comme un choc sur un tube d’acier, des percussions contemporaines, pas d’effet Doppler, pas d’effet Welch, c’est vrai, j’ai eu le temps de penser à cela, avant…, j’étais sûr de rattraper le gruppetto de tête avant le sommet, avant la descente sur Rebre, je les avais en point de mire, dernier faux-plat, précède les rampes neigeuses au sommet de l’Espérandieu, tout à coup, « il y a eu un bruit ! ».
Merci pour le bruit de votre texte. Bonne soirée.
Très réussi. merci.