#été2023 #11 | Fine

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Ces digressions « Steiniennes » à insérer dans le texte #Ateliers d’été# 04

Demain nous partirons voir Maulnes. C’est d’accord. Pour ce soir, avant d’aller visiter ce château étrange, je voudrais vous parler de Mai 68, quand j’ai moi-même découvert ces ruines.Tout a commencé au carrefour de l’Odéon, la première échauffourée, le premier affrontement avec la police. Les actualités de 20 heures en parlaient en direct. Au même endroit, il y avait eu une sorte de prologue, sur le coup de 13 heures, juste devant chez Lipp.  Temps superbe, service en terrasse. Il y avait là une voiture mal garée, avait-elle oublié de régler son disque de zone bleue, était-elle sur un emplacement interdit ou réservé ? Je ne m’en souviens plus. C’était une voiture étrangère, plaques danoises ou néerlandaises. Je traînais avec Albert, nous avions sandwiché rue St Merry, chez JN., l’héritier des ferronneries M. de R. Nous remontions vers nos écoles, E. pour moi, PP. pour lui. Une « fourrière » s’est rangée, deux agents en pèlerines l’attendaient. Les hommes en cottes grises sont descendus, ont accroché la voiture à un petit câble, un treuil l’a hissée sur le plateau, ils sont partis. Un consommateur en terrasse a interpellé les flics :

  • Bravo, c’est comme ça qu’on accueille les étrangers à Paris !
  • Vous avez une déclaration à faire ? passez au commissariat.
  • Pour me faire tabasser, merci bien.

Les garçons de la brasserie, dans leurs grands tabliers se sont avancés, d’abord curieux, puis pour faire barrage. Les flics téléphonaient de leur voiture-pie. Un fourgon gris est arrivé, descente d’une escouade, cris et insultes divers, quignons de pain projectiles absurdes, étudiants goguenards commencent à bousculer les képis, bâtons blancs entrent en scène, jeunes gens affluent du métro, du boulevard StGermain, de la rue de Rennes.Albert et moi regagnons nos quartiers. Nous avons cours.

La suite, vous la connaissez, vous pouvez retrouver les journaux, les actualités télévisées. Très vite, les écoles ont fermé, nous avons beaucoup marché, couru, donné quelques coups de poings du côté du Luxembourg, dépavé la rue de Rennes à hauteur de Mabillon, quitté Paris grâce aux bons d’essence d’un ami médecin, vécu ici, dans la maison de mes grands-parents. On trouve de l’essence malgré le rationnement, nous visitons la région, heureux de nos vieilles bagnoles, de nos permis de conduire tout frais. Qui nous a parlé de Maulnes ? Sans doute JN M. qui savait tout de l’histoire locale… nous allons à la pêche, nous cultivons le jardin, Fine fait la cuisine, réclame des échalotes

Fine fait la cuisine… Vous n’avez pas sursauté… ce nom, ce prénom apparaît pour la première fois. Avant de parler de Maulnes, de sa maçonnerie « penta », je dois vous raconter ma grand-mère maternelle, Marie-Joseph, dite Fine, Bretonne de l’intérieur, de l’Ar Goat. Sans elle, nous ne serions pas ici, dans cette maison. Elle y a passé ses dernières années, elle entretenait les lieux, faisait de chaque visite une fête. Où avait-elle appris le beurre blanc ? A Nantes où les Bretons venaient s’embaucher aux usines LU, ou aux chantiers de St Nazaire ? Aînée de neuf frères et sœurs, il fallait tôt trouver un emploi. Elle arrive en 16 à Montparnasse, vingt ans après l’accident de la ligne Granville-Paris. Le marché du boulevard Edgar Quinet attire le monde, on embauche. Pour quelques sous, elle passe une matinée à garnir de terre des pieds de laitues. Les clients demandent des salades « de pleine terre », Fine gravit les échelons du commerce, propose aux chalands des « mistigris » (mixed grills), fait ses classes chez Curnonsky, « prince des gastronomes », cuisine pour les vedettes de son temps, acteurs, chanteurs, musiciens. Son beurre blanc conquiert le Tout-Paris. Ici, je lui apporte des poissons d’eau vive, 68, une bonne année pour le brochet.

Demain matin, départ  pour Maulnes, lever 7 heures, tartines grillées, café, thé noir ou vert, on déjeunera à Tonnerre.

2 commentaires à propos de “#été2023 #11 | Fine”

  1. Superbe cette remontée dans le temps que je n’ai pas connu, suis née un peu après mais Boulevard Saint Germain, les flics, un Paris familier et le mythe de ce dont on a si souvent entendu parler. Merci et bonne journée.