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Partant de la plaque de cheminée, dirigeant le regard vers le mur opposé, plantée sur le tapis, en arrière des quatre assis, une table de chêne sombre, lourde, noire, quasi, plateau rectangle à fonction de bureau, comportant, sur un de ses petits côtés, un tiroir, chargé on ne sait de quoi, d’une ouverture peut-être difficile, dont trois des personnes présentes ignorent le contenu.
A la recherche d’allumettes, Max empoigne la boule de bois fichée au centre, produit un puissant effort de traction, il connaît la résistance opposée par un compartiment au coulissage variable en fonction de l’hygrométrie du moment ; au vu du geste produit, au bruit provoqué – tintement, frottements, bascules -, le trio, gagné par la curiosité s’est relevé, retourné, entoure Max, fait cercle.
Le premier objet qu’il brandit est un coupe-papier ; dans sa tranchée, un poilu l’a coupé, martelé, décoré de petits blocs carrés en relief, dans un morceau de cuivre rouge, de provenance incertaine, comme il en subsiste sans doute encore dans nos champs ; il a la forme arrondie d’un petit cimeterre, la lame gravée dit « Verdun 1916 ». Viennent ensuite des boîtes de toutes sortes, métal, carton, étuis, simples ou doubles munis ou non de charnières invisibles ; deux boîtiers métalliques d’aiguilles de phonographe, l’un de marque Bohin, l’autre, américain, décoré d’un chien et d’un bébé, « His master’s voice », les contenus sont rouillés, dessinant comme des anneaux sur les tiges d’un jeu de Mikado miniature ; boîtes de plumes, dont une Sergent-Major représente la bataille de Lodi, un porte-drapeau ressemblant vaguement à Bonaparte, mène la charge des bleu-blanc-rouge contre un ennemi qu’on ne voit pas ; dans le petit boîtier, les plumes apparaissent rangées, certaines superposées, prêtes à être glissées dans la fente d’un porte-plume, sucées quelques instants °, avant de plonger dans l’encrier de porcelaine blanche, qui sait quel potentiel littéraire recèlent à leur insu ces pointes inoxydables, si précises, endormies à jamais… ; rangées un peu en arrière, on distingue plusieurs boîtes d’allumettes « gros module », au motif du casque gaulois, dont la présence ne s’explique pas d’emblée, elles sont lourdes d’un contenu que Max agite aux oreilles du trio curieux, l’ouverture révèle des « bâtons » de couleur brique, de section carrée, de longueur variable, certains paraissent entiers, d’autres, plus courts, sont noircis à une extrémité. Max allume une bougie, saisit un bâton entre pouce et index, l’approche de la flamme, il ramollit, se tord, grésille un temps, puis répand une large goutte rouge sur la feuille blanche qui la reçoit, sur laquelle Max presse le cachet de son grand-père, le greffier de justice ; la discussion s’engage sur Descartes et ses méditations… cire d’abeilles ou cire à cacheter ? on ne tranchera pas ce soir.
Cette démonstration terminée, le bâton de cire rangé dans sa boîte celte, Max peut empoigner le gros bouton de bois et, s’aidant du ventre, repousse le tiroir dans son étroit logement.°°
° J’ignore l’origine de cet usage auquel aucun écolier ne dérogeait.
°° « Le bonheur d’empoigner au ventre par son nœud de porcelaine… » Ponge, Les plaisirs de la porte
Visite et inventaire d’un tiroir, ce à quoi va le contraindre la recherche d’allumettes…
et il y aurait donc de l’ADN sur les plumes bien rangées !
contente d’être passée par chez vous…
Merci Françoise
L’ADN, je n’y avais pas pensé ; développements possibles vers enquête, polar, inspecteur Machinrot… Nouvelles pistes, il me faut y songer.
De la succession de boites, à ouvrir, à refermer, à rêver, à penser. À évoquer le passé. Boîtes de Pandore ? Très évocateur.
Merci, Jean-Luc, j’avance à tâtons dans ces tiroirs ; ouverts petit à petit.
JMG