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« Tous les quatre sont assis par terre » (#04#), face à la cheminée, aux bûches qui rougeoient, illuminent par flammèches, en fond de foyer, une plaque de fonte épaisse, au motif en forme de draperie déroulée des deux côtés par des hampes se terminant en fers de lance, représentant (la draperie), relief éclairé, ombré, lumineux, terni, les armes du village (baronnie), on reconnaît les fleurs de lys, la diagonale (NO-SE) de carrés juxtaposés, on induit qu’elle (la plaque) a été fabriquée, coulée, moulée, ici-même, à l’usine M., manufacture, plus qu’industrie, associant des compagnons forgerons, connue pour avoir participé à la statue de la Liberté de N.Y., disséminé d’innombrables grilles, rampes et balcons de châteaux, rénové la statue de Vercingétorix dont le bronze (canons pris à Solferino) domine le plateau des Laumes-Alésia.
La cheminée elle-même – il y en a dans chacune des sept pièces, huit avec la cuisine -, un marbre brun veiné rose, de forme Louis XV, belles courbes, un linteau sculpté en bas-relief d’une ellipse centrale, des attaches en demi anneaux de laiton pour les ustensiles, balai, pique-feu, pincettes du même noir que la plaque en fonte, d’une « puissance de feu » considérable malgré le volume modeste de son foyer, pourvu d’un volet, genre de rideau métallique, dépliable pour favoriser le tirage, caché en été derrière une sorte de toile peinte, marine naïve à l’énorme soleil couchant, disque argenté, tendue par un support de bois aux pieds calés sur le marbre noir inséré dans le parquet, remplacée aujourd’hui par un pare-étincelles à quatre pans articulés, épais grillage sur cadre de laiton, acquis en brocante, la marine naïve reposant désormais au grenier. Sur la tablette de la cheminée, le « portrait-panique » de Georges (#02#) semble observer les visiteurs.
« Tous les quatre sont assis par terre », face à la cheminée que surmonte une grande glace à cadre doré, aux rocailles d’angles, au sommet arrondi fermé par une « clé de voûte » en conque marine ; de sa position au centre du tapis, chacun peut observer dans le miroir l’image du lustre éclairant ce salon, exemple de chef-d’œuvre de compagnon forgeron, provenant, signature à l’appui, des Ets M. déjà mentionnés, pièce lourde, suspendue au plafond par quatre chaînes, à un anneau noyé dans une fleur de stuc (lustre, suspension, les mots savent-ils nous dire avec certitude ? préférence pour « lustre », semble renvoyer à une forme de confort produit par la lumière, tandis que « suspension », les chaînes qu’elle évoque, nous rapproche de la forge, du feu d’Héphaïstos, des hommes moitié nus martelant le fer rougi sur l’enclume… ), lustre, donc, illuminé par douze lampes-bougies disposées sur un ample anneau horizontal reposant sur une structure de quatre volutes de fer plat arrimées, au centre, à un axe vertical aux extrémités en pointes de diamant ; selon que le regard se tourne vers la cheminée, son grand miroir, ou vers le plafond, observant le lustre par en-dessous, un certain trouble peut apparaître pour chacun, soit que, par une sorte d’anamorphose, par une déformation de la perspective, les arrondis s’aplatissent en se réfléchissant, soit par la crainte que les chaînes, ou l’anneau du plafond ne se rompent, laissant choir un objet de vingt kilos et les plâtras arrachés sur les têtes des visiteurs inquiets.
C’est très étrange comme une scène statique peut contenir la statue de la Liberté, des canons, et des visions troubles, inquiétantes (on y est en tout cas).