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Le bateau, JM ne pense qu’à ça, depuis le début, il en rêve depuis qu’ils roulent vers l’ouest, breton de la terre, cul terreux ; jamais navigué, jamais de stage marin, jamais barré de dériveur, jamais compris la résultante des forces physiques exercées sur les deux éléments essentiels, voile et dérive ; l’eût-il compris, aurait-il évité la catastrophe… ?
Le bateau, un DC20 (on dirait le nom d’un avion, pense Albert) est couché sur le « trait » du Croisic. JL – prononcer Jielle, voire TiJielle -, notre commandant, décide un brossage de la coque couverte de patelles et autres mollusques ; il juge qu’à eux quatre, ils auront fini en deux jours. Le transfert du bateau du Croisic à Pénerf se fera donc après-demain ; en fin de journée, il compte sur la pêche à pied pour agrémenter le menu, bouquets et lançons.
Le DC20 m’a l’air d’un gros veau qui se traînera en haute mer, même avec une coque impeccable ; Albert ne se sent pas de brosser, racler à longueur de journée, il se dit qu’il n’est pas venu pour ça ; Jielle l’énerve, avec ses références de sélectionné olympique, d’ailleurs il n’a pas été retenu dans l’équipe… , et puis où sont les nanas ? il compte sur ses yeux bleus et ses larges épaules pour draguer, « emballer » des marinettes pour égailler la croisière.
Yannick, le taiseux de l’équipe, ne sera pas du voyage, il habite ici, c’est le cousin serviable, il aidera au récurage avant d’aller à la pêche aux orphies depuis son poste favori, assis sur le rocher surplombant.
Jeudi matin, le DC a fait peau neuve, marée haute, Jielle et ses matelots, fins prêts, s’installent à leurs postes ; on va sortir sans moteur, la brise est suffisante, voile hissée, JM est à la dérive ; « tant que tu sens qu’elle frotte sur le sable, tu la retiens, puis tu laisses descendre doucement ». ; assis dans le cockpit, la corde entre les mains, JM sent le bateau s’enlever doucement ; ça frotte, il le sent, comme s’il tenait un poisson au bout d’une ligne ; retenir, retenir encore, encore, il tient bon.
Jielle, à la barre s’écrie soudain : « je ne la tiens plus, il y a comme un courant, attention, nous fonçons sur la drague ! » Alerte, les énormes godets se rapprochent et le bateau refuse de virer, Albert fonce à l’avant, se couche sur le dos, jambes en avant, bras en croix, bien arrimés au bastingage, au dernier moment, il projette ses pieds contre le godet, ce qui fait dériver le bateau, d’un rien, nous évitons la catastrophe.
Aussitôt, Jielle descend dans le cockpit « eh bien, JM, tu dors ? » Il a compris que la dérive n’était pas descendue, que les « p. » de forces physiques n’avaient pas trouvé de point d’application, c’est Albert, l’ancien para qui nous a sauvés, JM, penaud, vient de prendre sa première leçon de navigation.