Le contexte, l’exercice
A l’hiver 2019, François Bon a proposé un cycle d’atelier autour de la nouvelle. Un an plus tard, je décide de reprendre ce cycle à mon rythme et à ma manière.
La proposition de François Bon :
Surtout ne pas écrire une nouvelle mais un fragment, une partie dont on aurait perdu le début et la fin. Pour s’aider et s’inspirer « Rêves de rêves » d’Antonio Tabucchi et les « Mythologies d’hiver » de Pierre Michon.
Envie de participer à mon texte ? Apportez vos annotations et corrections en commentaires ou sur ce pad collaboratif. => Proposition #1 Images Mentales
Ma proposition
Naissance d’un personnage
Péniblement, j’ai
prétexté un café pour poursuivre la conversation. Il resta
silencieux et emboîta mes pas. Quel drôle d’impression que de
sentir cet homme dans mon dos ! C’est lui qui devait marcher
devant, il connaissait le chemin mieux que moi.
Tout semblait
contenu dans son corps et dans gestes, il ne me montrait aucun signe
d’approbation et ne m’opposait aucun refus.
Il ne toucha pas au café, à la petite cuillère ou morceaux de sucre. Il n’eut pas le regard circulaire pour détailler les lieux et les gens qu’on attend d’un écrivain. Il se tenait droit, le visage tanné avec cette dureté des traits si commune aux gens du sud.
Son regard portait loin, dans ma direction, mais au-delà de moi. J’étais porté par ce regard où je sentais vivre la mer, le soleil de ce jour, et la vue imaginé et pourtant bien réel dans sa chair de la prison où il avait passé neuf mois.
Pendant les premières minutes, ses phrases ne dépassèrent pas trois mots. Tout ses gestes semblaient s’accorder à la mesure du nécessaire. Il ne s’encombrait pas de l’apparat social, de la défense médiatique, il avait passer l’âge de s’expliquer, de se justifier. Je brûlais de recueillir ces confidences. Mais de faire une interview, il n’en n’était pas question. Il opposait un silence contenu. Il s’agissait de le comprendre, de se montrer patient. Il donnait l’impression fausse d’attendre un signal. En vérité, il me laissait jouer, il se jouait de moi, il jouait de son expérience. Je me perdais en conjecture, en paroles volubiles pour trouver le bon mot. Et lui, de quelques gestes de la main soutenus par des phrases courtes, il se faisait entendre comme une évidence. Un message attendait son destinataire et peut-être que je n’étais pas le bon. Je le comprenais sans pouvoir formuler sa pensée et obtenir de lui l’acquiescement complice qui confirmerait que je suis sur la bonne piste.
Mon café semblait froid, j’essayais alors de retourner la situation, de devenir l’interviewé. Je lui parlais de moi, de mon admiration pour ses livres, du journal, de la rédaction, des collègues ; du soutien indéfectible contre la condamnation sommaire du milieu littéraire parisien, tous résistants soit-disant. Il botta en touche et montra à mon égard une inhabituelle sympathie pour un premier rendez-vous avec un jeune journaliste :
– La semaine dernière, dans une rue étroite de Marseille, j’ai rencontré un hussard. Il était très bien vêtu et parlait italien. Je ne suis pas sûr de sa provenance. Comme il portait des bottes de cavalier et un long sabre à la ceinture, il ne pouvait venir du vieux port.
Ses yeux brillaient d’un blanc d’agate. Il parlait avec aplomb, d’une voix d’outre ciel. Midi arrivait, le café se remplissait lentement. J’étais à court de prétexte.
« Ecriture avec écrivains », ce qui est venu à moi
Février – Mars 2020
Comme pour l’épisode précédent, je viens ici annoter le texte pour tenter d’en décrire le processus de création. Pour rappel, je ne souhaite pas faire dans le cadre de cet atelier, des textes aboutis, mais des terrains d’expérimentations qui viendront se prolonger avec vous.
A vous de jouer, dans le pad ou l’espace commentaire !
Encore une fois, j’ai eu besoin de temps. Cette fois-ci la « consigne » était moins inconfortable : écrire un fragment, la partie émergé d’une nouvelle dont on aurait perdu le début et la fin.
J’ai pris mon temps. Je souhaitais prendre le temps de m’écouter, de faire rien et d’écouter ce que les moments de vide me donnaient. En plus, il fallait inscrire un écrivain dans le processus. La tâche me semblait ardue. A la lecture des « Rêves de rêves » de Tabbuchi, je ne voyais pas vers quel écrivain me tourner. Etais-ce une question de connaissance intime de la vie d’un auteur ? De la parfaite connaissance de sa bibliographie ? D’invention et de fiction autour d’un personnage ayant réellement existé ? La réponse se situe à la croisée des trois questions.
Ne pas forcément écrire un rêve, mais parler d’un écrivain ou d’un artiste, mais qui ? Je craignais de tomber facilement dans écueils et des facilités.
J’ai décidé de ne pas chercher et de laisser le texte venir à moi. J’ai depuis longtemps une idée en tête : l’histoire d’un homme devenu journaliste, chroniqueur malgré lui au milieu d’une zone de vide : sous la banquise, au fond d’un bunker, dans un avion écrasé. Ecrire dans un lieu sans personne pour survivre. Sans savoir qui il était, je souhaitais introduire ce personnage. Il raconterait son histoire à un journaliste. C’est alors que le lieu d’errance c’est précisé, c’était une prison. Et c’est ainsi que mon personnage est né, un homme d’imagination qui pour survivre a tenu des chroniques oniriques et fantasques dans sa cellule.
Il m’a fallu une semaine de travail pour enfin comprendre de qui et quoi je parlais. De choses très personnelles : de mes souvenirs de jeunes journalistes et de l’homme qui m’a réellement fait aimé la littérature, Jean Giono. Je vous invite à vous plonger la biographie de Giono pour comprendre de quoi il est question dans le texte. Je me refuse à faire ici un exercice de biographie ou d’explication de texte. Ce n’est ni le sujet, ni le but, ni mon envie. J’ai une simple question pour vous : avec ou sans Giono, ma proposition tient-elle ?
J’ai écrit plusieurs fois le texte. Les mêmes mots, les mêmes motifs, les mêmes phrases revenaient. La situation s’est construite d’elle-même, au fil de l’eau. Il y avait le café, le lieu et la boisson, le silence de l’interviewé, le malaise de l’intervieweur et cette ligne de dialogue finale qui fait rupture. A force d’écrire et réécrire, j’ai fini par me sentir par me sentir à l’aise dans ma propre invention, mon propre cadre, comme si ma chanson commençait à trouver ses gimmicks.
J’ai pu alors coller au plus près des faits concernant Jean Giono et élargir l’horizon, le champ des possibles grâce au vecteur narratif, le jeune journaliste.
De mes brouillons j’ai pu extraire de nouvelles contraintes. Le genre de contrainte parfaite pour un concours de nouvelles :
Vous devrez commencer le texte par :
« Péniblement, j’ai prétexté un café pour poursuivre la conversation. »
Ou « Un message attendait son destinataire… »
Si la première phrase ressemble à un point de départ, la seconde est une ouverture qui pose plus de difficultés car sujet à plus d’interprétations. Et vous par quelle phrase commencerez-vous votre texte ? A vous de jouer !
A votre tour, les règles du jeu.
Vos commentaires, annotations et retours sont les bienvenues. Je vous invite à jouer avec mon texte, le modifier, le remixer, l’allonger, le compléter, dans l’espace commentaires ou dans le pad collaboratif prévu à cet effet.
A vous de jouer ! Prenez un café avec un écrivain (Péniblement, j’ai prétexté un café pour poursuivre la conversation.) ou jouer avec le message qu’il vous envoie (Un message attendait son destinataire…). Vous pouvez réécrire mon texte en débutant par Un message attendait son destinataire… Ou alors inventer vos propres règles à partir des miennes…
Les textes publiés ici sont sous licence CC-BY 4.0.
Photo by Jakub Kriz on Unsplash
Une nuit d’hiver dans Tomis la sauvage où il était relégué depuis déjà trop longtemps, Publius Naso fit un rêve.
D’abord il se voyait marcher sur l’étendue gelée où jadis furent dispersés les restes d’Absyrte que sa sœur avait découpé en morceaux. Toujours il revenait dans ses songes vers ce lieu maudit où tout avait commencé lui semblait-il. Tout ? Mais il ne savait pas exactement quoi.
Sous la glace des étangs il voyait les ombres des poissons qui accompagnaient ses pas maladroits, et il sentait ses pieds endoloris par le froid que protégeaient si mal les chiffons dont il les avait entourés. Plus que les flèches des scythes, les aiguillons de l’hiver représentaient la sauvagerie de ses contrées hostiles.
Il avançait et petit à petit la prairie reverdissait sous ses pas. Il s’y voyait étendu, entouré d’un groupe de pasteurs. Une conversation s’était engagée malgré leur langage fruste dont il saisissait des bribes. Mais dans les rêves souvent se manifestent des pouvoirs inconnus qui permettent de ces dialogues improbables.
L’un des barbares était en train de traire une jument dont il voulait lui faire goûter le lait. Et Publius leur déclamait comme en un odéon ses plus beaux vers jamais écrits. Ils ne le comprenaient peut-être pas mais la mélodie réveillait en eux on ne sait quelle tendresse qu’on leur eût crue inatteignable.
Il y évoquait ce chant du cygne dont les anciens prétendaient qu’il était chant de joie car l’animal dédié à Apollon savait que bientôt il quitterait cette prison du corps pour rejoindre le Parnasse et y savourer la compagnie du Dieu.
Et progressivement il se mit à s’endormir là sur cette étendue d’herbe et par se rêver comme l’animal du poème. Mais au lieu du paysage accueillant où il se trouvait, il marchait avec difficulté dans une poussière de gravats.
Il était dans une ville où le décombre le disputait à l’érection de monuments nouveaux. Une ville qu’il ne pouvait situer ni dans aucun lieu, ni dans aucun temps. Il aperçut alors le regard empathique que jetait à l’oiseau qu’il était devenu un homme dégarni aux yeux mélancoliques. Sans le connaître il y voyait son double.
Pataugeant dans les flaques laissées par la voirie qui nettoyait les rues de leurs immondices, il ressentait une soif inextinguible, une soif que ne pouvait épancher cette eau crasseuse. L’air était asséché et le ciel sans nuage dardait ses traits comme un dieu en furie.
Voilà qu’il regrettait le pays des Gètes d’où il avait été projeté. Il ressentait bien toute la peine de l’homme, et s’aperçut soudain que l’exil était sa condition. Alors il se réveilla dans un éclat de rire.
Autre contribution qui va plus dans le sens de ce que vous attendez. N.B. : Les citation entre parenthèses sont éxtraites de « NOE » de Giono.
Péniblement, j’ai prétexté un café pour poursuivre la conversation. Il me regarda de ses yeux bleus si singuliers comme s’il évaluait le sérieux de ma proposition. Sans doute il pensait déjà à la probabilité de transformer ce jeune homme timide en personnage. Je sentais quelques picotements dans mon esprit excité,
Dans ces rues de Marseille qu’il connaissait mieux que moi, j’eus l’audace de lui servir de guide, mais je savais en fait que mes pas étaient contraints par sa pensée. Sa curiosité l’avait fait acquiescé à cette invitation qui après tout lui épargnerait l’ennui qu’il craignait plus que tout.
A mesure que nous avancions la rue vide au début se remplissait d’une population hétéroclite, familière et étrange à la fois. Un homme « supérieurement fringué d’un tissu Prince de Halle ». Un vêtement totalement inattendu et parfaitement démodé qui semblait me ramener à l’époque où mon « guide » avait arpenté ce quartier. Une jeune femme « très jolie bien mise mais de dos elle était faites à lui donner plus de trente ans » ; et quand elle se retourna pour saluer le Prince Galle je vis bien qu’elle n’avait pas dépassé la vingtaine.
Et puis il y avait cet homme surgi à un croisement : « un quadruple menton avec bajoues adjacentes superbement rasées… amenant à une bouche très ecclésiastique » qui portait une serviette de cuir plat. Deux autres qui descendaient la rue en parlant à haute voix de « Ce qu’il faudrait faire ».
Et tout ce monde qui se croisait et animait soudain l’endroit semblait s’ignorer comme si chacun appartenait à un univers séparé, même une époque différente. N’empêche qu’ils étaient bien là sous mes yeux et que je me sentais happé par leur présence.
Un moment je crus avoir la berlue : un hussard venait de surgir. Il était très bien vêtu et parlait italien, il portait des bottes de cavalier et un long sabre à la ceinture. Je me retournais vers mon compagnon qui se contenta d’arrondir son regard comme si lui-même était surpris. Puis il me dit : – Alors ce café on le prend où ?
Il ne toucha pas au café, à la petite cuillère, aux morceaux de sucre. Il n’eut pas le regard circulaire pour détailler les lieux et les gens qu’on attend d’un écrivain. Il gardait cette bonhommie amusée de celui qui ne s’en laisse pas compter.
J’aurais voulu l’interroger sur cet épisode controversé de sa vie qui lui valait parfois l’animosité de quelques bien pensant qui ignoraient tout de l’affaire : un emprisonnement de neuf mois au sortir de la guerre. Pourtant je sentais bien que c’eût été déplacé. Que l’homme n’avait que faire de ces accidents de l’histoire (et je l’écris à dessein avec une minuscule).
Alors j’essayais de l’aborder par le versant de l’écriture, tentant de le faire parler sur le processus de création. Il n’y avait rien à dire, il avait déjà tout consigné dans ses livres me rappelait-il. Et si je voulais en savoir plus je n’avais qu’à inventer comme il avait pratiqué lui même en se fiant à la boussole de ses lectures.
Je compris rapidement qu’il ne pouvait être question d’une « interview » et qu’ il opposait un silence contenu. Il s’agissait de le comprendre, de se montrer patient. Il donnait l’impression fausse d’attendre un signal.
En vérité, il me laissait jouer, il se jouait de moi, il jouait de son expérience. Je me perdais en conjecture, en paroles volubiles pour trouver le bon mot. Sans m’en apercevoir j’entrais dans son jeu et plutôt que l’inverse c’était moi qui nourrissais son imaginaire.
Pour une suite :
Curieusement je commençais à me voir avec ses yeux. Un garçon un peu foutraque avec pour tout viatique une véritable admiration qu’il ne savait pas comment exprimer. Ça l’amusait, d’autant que là où il était vraiment (dans les branchages de l’olivier dont il recueillait les fruits avec avarice) il en avait déjà rencontré deux ou trois comme lui, et il était en train de se demander comment il pourrait les combiner pour en exprimer tout le jus.
Dommage que Langlois baignait dans son sang là-bas après avoir allumé sa cartouche de dynamite en guise de cigare. Une fois ramenée Delphine, l’arrivée de ce gars là aurait pu rendre la vie plus attrayante. D’abord on n’aurait pas su d’où il venait, mais ça aurait été en hiver. Une autre saison aurait débuté et on aurait pu recommencer la chasse au loup. Jusqu’à l‘assaut final. Pas l’histoire prévisible de l’adultère, mais une autre toute nourrie de ces mythologies qui nous trainent dans leur sillage depuis l’antiquité.
Non il fallait s’y prendre autrement.
D’abord hameçonner la proie, puis petit à petit la fatiguer en la laissant aller son chemin qu’elle se croit encore un peu de liberté. Puis petit à petit l’amener là où l’on veut. Dans cette vallée où règne en maître l’ « empereur dynastique de la vallée de l’Ouvèze » par exemple. Comme il l’admirerait par exemple celui-là avec sa capacité de « se foutre de tout », comme il comprendrait qu’après tout ce n’est pas la possession qui fait l’avarice !
Et lui aussi il dépenserait ses mots sans les compter, mais ce serait pour mieux pouvoir en faire des remparts contre le regard des autres. Il avancerait à découvert l’air de rien. Vu de loin on croirait juste un chien fou qui suit la trace du gibier ou de la femelle. Poussé par l’instinct. Mais quand on entrerait dans son intimité alors là ce serait vraiment beau de voir les trésors qu’il déploierait pour parvenir à être au plus près du mystère.
La rencontre de hasard qui aurait été pensée depuis longtemps, la fausse ingénuité qu’on déploierait pour donner confiance. Et puis la conversation qu’on entame comme ça sans en avoir l’air, en parlant de soi sans frein. Parce que cela aussi faisait partie de la stratégie. L’autre qui’ l’écouterait, mi-figue mi-raisin, tout occupé de choses bien plus importantes. Mais il ne pourrait pas s’empêcher de l’écouter quand même. Et ça lui ferait tout drôle de découvrir peu à peu qu’il n’avait en face de lui qu’un double mal équarri.
Divertir les autres pour se maintenir à l’écart de l’ennui. C’était tout lui ça. Il se reconnaissait bien et même si pour l’instant ils étaient « monstrueusement mélangés », il savait bien qu’au bout du compte il parviendrait à l’assimiler, à moins que ce ne soit le contraire. Mais qu’importait après tout si dans l’opération on pouvait échapper à soi-même.
Et pendant qu’il évaluait ses chances de parvenir à ses fins, je continuais à parler à tors et à travers sans m’apercevoir qu’il n’avait jamais été aussi près de moi le secret que je cherchais.
Merci encore Christian, certaines phrases m’on marqué : « La rencontre de hasard qui aurait été pensée depuis longtemps, la fausse ingénuité qu’on déploierait pour donner confiance. » « Divertir les autres pour se maintenir à l’écart de l’ennui. »
C’est très riche ! Tu dois bien connaître Giono. Notre conversation va se poursuivre, j’ai quelque chose pour toi dans ma besace.