Atelier Une Nouvelle en 4000 mots – Proposition #1 | Images Mentales

Le contexte, l’exercice

A l’hiver 2019, François Bon a proposé un cycle d’atelier autour de la nouvelle. Un an plus tard, je décide de reprendre ce cycle à mon rythme et à ma manière.

La proposition de François Bon :

Comme l’explique François Bon, pour écrire trois paragraphes d’images mentales, nous devions lire/étudier/gamberger/nous inspirer d’une série de texte d’Henri Michaux : « En Rêvant à partir de peintures imaginaires » écrit à partir des rêveries de l’écrivain sur les peintures d’un autre belge plus célébre encore, René Magritte.

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Mes propositions

I En partant d’une fenêtre, l’air

Selon la hauteur et le temps, l’air n’a jamais la même odeur. Presque oublié à hauteur d’homme, vents violents à hauteur de bâtiments, parfum lourd des orages, vapeurs fraîches exsudées du goudron.
Dans ces bâtiments l’air a un goût de vide, des mètres cubes de rien qui s’impose, le renfermé asphyxiant, l’asphalte des parkings qui grignotent les pelouses.
Laideur détaillée sur la façade de l’habitation à loyer modéré. Un coup d’oeil et on oublie ce fragment. Le paysage urbain se gèle. Rien ne bouge.

Luminescence animal de la nuit dans les bâtiments boîtes à chaussures, bâtiments rangés, bien circonscrit dans un quartier, inscrit dans le plan de rénovation à moyen terme.
Bâtiment classeur de gens, monter à l’appartement gauche du quatrième étage, classification, dividualisation de la personne, taxonomie du vivant, intercalaire social.

Ascenseur suspendu au vide ; reptiles d’oxygène, de plomb, de rouille et de tungstène escaladant les câbles, s’accrochant aux poulies.
Mince épaisseur du bois de la porte d’où transpire les odeurs rances de la cuisine en conserve et de l’humidité suintante de la salle de bains.

Finitions bâclées de l’appartement d’HLM où l’ennui contamine tous les interstices.
Avant d’entrer – le nez fin, habitué à de plus haut lieu sera piqué au vif par le vinaigre d’entretien ménager, engourdi de goudron, de tabac, de la lourdeur acre du béton – l’enfant lui trouvera un terrain de jeu, quelque chose d’inconnu naîtra entre le carrelage et le plafond.

Les vents d’intérieurs épaississent la poussière, l’aluminium et l’amiante. Air froid qui persifle, rampe sur la roideur des parois, grimpe aux mornes plafonds. Il vit à un centimètres du sol sur les petits carreaux jaunes, bleus et gris, constitués en parallèles et perpendiculaires, dressés, élevés en escaliers de pierres grises, de poussières. Dans les premiers centimètres au dessus du sol on le trouvera pour survivre. Air en tuyau, air en plaque ou en morceaux, air amassé, tas d’air à nettoyer. Cet air frais qui fait frissonner les vieux, air trop pur qui grise les travailleurs quand ils descendent l’escalier le matin.

II Un vieux souvenir et les illusions plaisantes qu’ils portent

Pour bloquer les courant d’airs qui viennent du dessous de la porte, les habitants ont de l’astuce. Ils trouvent en magasin ou sur des catalogue de vente par correspondance des boudins à placer au pied de leurs portes. Bien souvent les boudins prennent la forme de chien, à moins que ce ne soit les chiens qui s’étirent en boudin et se garnissent de mousse et de jute.
Ils remplissent une fonction importante, celle de garder au chaud les entrées d’appartement.

Au premier pas dans l’appartement, il doit faire chaud, on doit tout de suite se sentir chez soi. L’entrée doit être agréable. L’appartement est petit comme tous les petits appartements du monde mais celui-là, c’est le sien. On peut le reconnaître entre mille autres, il y a un gentil chien pour nous accueillir. Un chien rouge de forme oblongue. Un boudin de porte. Un chien boudin. Une couleur vive car le chien ne dit rien, ne demande rien, mais ne veut pas se faire oublier. On aimerait y porter toute son affection, mais il est froid, sale, les fibres de ses tissus sont gorgées de poussière. On veut bien le laver de temps en temps. Le secouer par la fenêtre, le laisser quelques heures au soleil.

En refermant la porte d’entrée, on le raccompagne du pied. Il doit rester bien coller à la fente d’air. Ici, à cette place qui est la sienne, il est unique, il est un repère sans pareil, on voudrait faire briller dans ses yeux de plastique un amour familier. On pourrait reconnaître ce chien de tissu rouge parmi cent chiens de tissu rouge, à ces traces blanches sur le ventre creusées par les frottements au carrelage froid plusieurs fois par jour depuis des années; le distinguer des autres à ce pli grossier en haut du dos, à ce froissement sur le côté, à cette façon que la poussière a de s’entortiller autour de la patte arrière gauche. De minces différences, à demi visibles à l’oeil averti, des détails infimes qui rendent propre cette chienne de vie, qui désigne son caractère unique, son inframince de boudin de porte.

Mais peut-être ne reconnaît-on le chien que par ce qu’il est là, que le chien rouge fait partie des meubles, des murs, du sol, de l’appartement, et que sans le savoir on est pris dans le vertige, dans l’agencement des choses, que l’on est à soi même comme au chien, dans l’étroite connaissance de détails intimes, le résultat d’une addition d’objets disposés autour de soi.

Mise à jour du 7 avril, ajout de la contribution de Catherine Serre depuis le pad d’écriture collaboratif :

Catherine Serre : pour cette recherche, qui est ma préférée mais on s’en fout, je crois que tu pourrais densifier le texte en allégeant  le regard extérieur, un peu prégnant de mon point de vue, ces petites transformations donnent au lecteur un rôle plus actif, plus de sensations directes- par exemple au début :  

Bloquer les courant d’airs du dessous de la porte, les habitants ont l’astuce : en magasin ou sur des catalogue de vente par correspondance des boudins à placer au pied de leurs portes.  Des boudins en forme de chien. A moins que ce ne soit les chiens qui s’étirent en boudin et se garnissent de mousse et de jute.

III Un vieux souvenir encore, un soleil intérieur

Les cailloux gris font toujours le même bruit, ils s’écoulent dans un grand sablier. Petits cailloux de petits cailloux de petits fragments. Quelqu’un vient d’arriver, le roulis des pas creusent des sillons. Le soir tombant, l’attente prend fin. Les petits cailloux gris s’envolent et s’entrechoquent. Le grand gris désert est troublé. Avec ses pieds on s’ancre dans le paysage, on attend un réconfort, on oublie ce que la saison nous donnera. A l’horizon la lumière s’éteint, au dessus du sol, sur les cailloux, l’air se refroidit.

Les cailloux d’ici, les cailloux du jardin, se déplacent au gré des pieds et des pneus, portent un souvenir d’enfance, reviennent dans l’écho de l’histoire d’une maison lointaine qui a trop changé. Les sillons cheminent et deviennent des veines. On se sent prolongé par des éclats de pierre. On voudrait vieillir dans un arbre.

Mise à jour du 7 avril, ajout de la contribution de Catherine Serre depuis le pad d’écriture collaboratif :

Catherine Serre : je te propose un autre montage, avec plus de tension au démarrage sur le mot « quelqu’un ».  Et le déplacement d’une phrase pour une concentration du pronom « on «  dans le deuxième paragraphe. Sinon à propos  de « grand gris désert «  qui donne un effet comptine, sauf à le reprendre plusieurs fois je trouve que cela produit trop d’effet, gris ou grand devrait suffire :

Quelqu’un vient d’arriver, le roulis des pas creusent des sillons. Le soir tombant, l’attente prend fin. Les petits cailloux gris s’envolent et s’entrechoquent. Le grand gris désert est troublé. Les cailloux gris font toujours le même bruit, ils s’écoulent dans un grand sablier. Petits cailloux de petits cailloux de petits fragments.  A l’horizon la lumière s’éteint, au dessus du sol, sur les cailloux, l’air se refroidit.
Les cailloux d’ici, les cailloux du jardin, se déplacent au gré des pieds et des pneus, portent un souvenir d’enfance, reviennent dans l’écho de l’histoire d’une maison lointaine qui a trop changé. Les sillons cheminent et deviennent des veines. Avec ses pieds on s’ancre dans le paysage, on attend un réconfort, on oublie ce que la saison nous donnera.  On se sent prolongé par des éclats de pierre. On voudrait vieillir dans un arbre.

En écrivant Images Mentales

Janvier – Février 2020

Il m’a fallu plus d’un mois pour compléter au mieux cet exercice. J’ai souhaité prendre tout mon temps – non pour viser une perfection inatteignable ou rédiger un texte qui me convenait complètement – j’ai souhaité véritablement comprendre la consigne et tenter d’y répondre du mieux que je le pouvais. L’important n’est pas le résultat mais le temps passé à chercher, à expérimenter. C’est pourquoi j’ai voulu poussé l’exercice dans toutes ces dimensions, en rédigeant ce « making of », car j’espère que mes textes sans se finir, se prolongeront avec vous. Vous venez de lire des textes en éprouvette.
Le temps m’a été nécessaire pour comprendre et apprendre. Au lieu de balancer mes textes à la va vite, je voulais faire les choses correctement quitte à mal les faire, quitte à rater – et ce qui est arrivé, mais après tout ne s’agit-il pas de « rater mieux » comme disait Loustal.

Je suis d’abord parti enthousiaste mais j’ai compris au bout de quinze jours que la tâche était ardue et l’exigence haute.
C’est dans ces derniers jours – ceux qui précèdent la publication – que je pense avoir effleurer la compréhension de ce qu’est une « image mentale ». J’ai la fâcheuse tendance à agir par le négatif à me concentrer sur ce qu’il ne faut pas faire plutôt que sur ce qu’il faudrait faire. J’aime beaucoup cette idée de retenue, d’ambiguïté si cher à François Bon. Cette consigne de départ m’a placé place dans une position d’inconfort qui a requestionné ma relation avec l’écriture et la création (littéraire aurais-je envie de dire mais je me dois de rester humble). Je crois être dans l’obligation de questionner et créer mon langage avant de prétendre à raconter une quelconque histoire.

J’ai donc d’abord pris la consigne un peu littéralement : images mentales, ce qui a dans ma tête, tout ce qui est présent dans un espace-temps donné mais qui ne raconte pas d’histoire, qui relève de l’invisible, de l’imaginaire, du cerveau, de la pur pensée. Un objet quelque peu démoniaque, dans les croyances païennes du Moyen-Âge, le démon était un pur esprit.
C’est ce que j’ai tenté de faire avec la première proposition.

Dans la seconde proposition, j’ai tenté de m’attacher à un détail. Je souhaitais aborder la notion d’inframince, « de presque visible » à l’oeil nu, et de la relation dynamique que peut avoir cet objet avec son environnement immédiat, son caractère illusoire et dérisoire.
Pour ces deux premières propositions, je ne crois pas avoir répondu correctement à la consigne. Je pense être passé à côté et avoir (humblement) essayé, créé autre choses.

En effet, il m’a fallu une lecture attentive des textes d’Henri Michaux « En Rêvant à partir de peintures imaginaires » pour comprendre qu’une image mentale est tout sauf une description. Ces textes m’ont paru sombres et obscures, mais la lecture ressemble parfois à la peinture, il faut plusieurs couches, des boucles, des répétitions, pour faire apparaître le sens.
Que l’image mentale peut raconter une histoire, si elle dépasse sa propre dimension, si elle offre un horizon d’imaginaire. J’en ai pris conscience à la relecture de l’image de « l’aigle ».

« On a pas vu un aigle se précipiter dans les flammes. Mais on le voit ici dans le tableau, témoin de son délire. »

Henri MICHAUX

Une autre lecture m’a aidé. Je lis actuellement « Le Procès » de Kafka, justement conseillé pour cet exercice par François Bon. Je sens que ce texte part avant tout de la retenue et de l’ambiguïté. L’intrigue se déroule dans un monde très « mentale », un monde non localisé, non situé, un monde où le non-dit laisse une grande place au mental du lecteur.
C’est pourquoi je crois que ma troisième proposition – la plus courte – est la plus proche de la consigne, une image mentale qui ne décrit rien mais donne à imaginer. Parler d’un sentiment plutôt que d’un objet. Cette position comporte un risque habituel à l’écriture ; celui de faire de la mauvaise poésie pour émouvoir le lecteur. Mais les consignes de l’exercice m’ont permis – je crois, j’espère, à vous de me dire – d’éviter cet écueil.

A votre tour, les règles du jeu.

Vos commentaires, annotations et retours sont les bienvenues. Je vous invite à jouer avec mon texte, le modifier, le remixer, l’allonger, le compléter, dans l’espace commentaires ou dans le pad collaboratif prévu à cet effet.

Je vous invite à jouer avec mes mots et les votre, avec mon point de vue et le votre, vous pouvez également compléter par vos images mentales.

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Crédits image : « Day 188 » by Wouter de Bruijn is licensed under CC BY-NC-SA 2.0

Aurélien Marty

A propos de Aurélien Marty

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4 commentaires à propos de “Atelier Une Nouvelle en 4000 mots – Proposition #1 | Images Mentales”

  1. On lui donnerait un nom. D’abord ça le nommer et il prendrait vie et japperait et réclamerait autre place autre fonction. La couleur aussi on la changerait pâlirait de beaucoup d’heures exposé au soleil du midi et de rouge devenu rouille en pas deux mois. Et on le descendrait et son long corps inerte mal fichu pour les marches obligatoires escalier et pas d’autre solution de l’ascenseur toujours en panne et taguée sa porte métallique et parfois se dire que ça pourrait être joli si c’etait fait pour ça et pas pour volonté de salir, de gueuler par écrit et leur foutre sous le nez plutôt que sur leurs gueules et le chien qu’on descendrait marche après marche lui derrière silencieux avec ses deux bons gros yeux de fidélité et jamais rancunier de toujours derrière la porte allongé pas bouger le chien et de ces passages réguliers qui lui arracheraient couleurs et épaisseur du corps et un oeil pour toujours fermé de ses bousculements en machine à laver et à chaque marche il faudrait le remettre sur ses quatre pattes minuscules et inutiles… Gueuler lui aussi s’il pouvait.