Une semi obscurité crépusculaire engloutissait peu à peu ce paysage déplaisant, pas une caisse mais une rangée de caisses flanquées de panneaux lumineux qui émergeaient de l’ombre affichant divers moyens de paiement scintillants : des cartes bancaires ou des pièces ou encore des « t » ; l’arrivée incessante de véhicules de toutes sortes SUV, pick-up intrépides qui ne reculent devant rien, des Fiat 600 aux berlines élégantes enfin toutes ces voitures essence, gaz, électriques, hybrides pour ceux qui hésitent encore, semblaient être le reflet de notre société en pleine déliquescence, un éventail hétéroclite de choix pour une civilisation indécise.
La file d’attente pour le télépéage marquée du panneau « 30 » défilait comme une mille pattes pressé. Mon véhicule bardé du badge de la modernité collé au pare-brise symbolisait un progrès qui me dépassait. Le bras mobile obstinément fermé refusait de se lever pour une mystérieuse raison technique. Une voix anonyme provenant d’un haut-parleur m’avertit que le badge était bloqué plongeant mon esprit dans un mélange de frustration et d’incompréhension.
Pas de panique quand les klaxons des voitures de derrière résonnèrent comme un chœur de colère, me rappelant que le droit à l’erreur se paye cher sur le terrain de l’asphalte ;
la pression montante me décida à prendre une décision audacieuse ; abandonner mon habitacle et m’engager vers la première voiture de la file arrière. Toc, toc, toc contre la vitre conducteur de la main en un geste décidé, une tentative de rédemption, une reconnaissance de ma part dans cette danse mécanique interrompue. Surprenant, chaque conducteur se transforma l’espace d’un instant en un être humain compréhensif et souriant, acceptant avec une clémence inattendue la part commune de vulnérabilité. Des étrangers devenus soudainement des alliés, des aventuriers peut-être.
Mes excuses se répandirent comme une onde apaisante à travers la file d’attente, à la quatrième voiture le conducteur était désolé il m’expliqua que sa marche arrière était défaillante, ses yeux exprimant l’impuissance… nous partagions une imperfection dans cette symphonie automobile, on se serra les mains.
Finalement je regagnai ma voiture résolue à trouver une solution. Présentant ma carte visa avec espoir, je priai silencieusement pour que la chevillette et la bobinette se lèvent rétablissant enfin la cadence dans ce tableau nocturne de désordre mécanique.
Quand les regards se croisent, on retrouve notre humanité, n’est-ce pas Raymonde ?
Merci pour ce texte
Le choix d’une formule de conte à la fin arrive très bien dans le texte !
histoire de parking délicieusement contée… et au passé simple !
(merci Raymonde)
Touchée par ce geste : « nous partagions une imperfection dans cette symphonie automobile, on se serra les mains. » Et j’ai lu ce ballet mécanique comme une saynète de Jacques Tati.