#gestes&usages #04 | ça lâche 

 Elle part pour son rendez-vous d’embauche. Une vague humaine déferlant sur les quais de la station République. Au milieu de la cohue le cœur battant à tout rompre elle se faufile vers la sortie du wagon. Mais alors qu’elle se presse dans la rame bondée un frisson d’angoisse la parcourt. Un claquement sec, le soupir d’un tissu qui se libère et que, soudain son soutien-gorge se dégrafe… mauvais endroit, mauvais moment. C’est l’été alors qu’elle s’habille en tee-shirt et jeans ajustés. Le soutien-gorge sous vêtement emblématique de la femme en devenir des seins enfin, petits certes et à contenir. Elle avait économisé longtemps pour s’offrir ce Wonderbra « push up full effect » confortable il permet de recentrer le buste d’augmenter le volume de la poitrine, renforcer le maintien et d’offrir un décolleté pulpeux et plongeant. Bien plus qu’un morceau de tissu il incarne une ascension sociale, l’assurance d’une poitrine avantageuse et d’un décolleté ravageur. On est bien loin du premier soutien-gorge « Princesse Tam Tam » informe qui permet tout de même à la petite fille le passage vers l’adolescence alors que la liberté prime sur la séduction. Ce Wonderbra elle l’avait acheté dans ce magasin incontournable depuis deux siècles « Madame Cadolle » qui avait pris part avec Louise Michel aux évènements révolutionnaires de la Commune de Paris. Herminie Cadolle à son retour d’Argentine avait exposer sa nouvelle invention, une idée  géniale : la coupure en deux du traditionnel corset féminin le premier soutien-gorge du nom de corselet-gorge. Et voilà qu’il la lâche, le sein gauche soudainement libéré se presse contre le tee-shirt dessinant une forme incongrue, elle rougit d’embarras. Dans la rame des regards indifférents, certains amusés, d’autres compatissants. Se sentant observée, jugée réduite à ce sein qui brave les conventions. En quelques contorsions aussi visibles qu’elle les voudrait discrètes elle tente d’une main de raccrocher les agrafes en inox qui glissent entre ses doigts, tension transpiration rendent la tâche impossible. Peut-être aurait-elle dû prévoir une extension car malgré ses petits seins son dos est de bonne taille, ce qui permet une taille de bonnets soixante-quinze et un tour de poitrine plus important.

Le métro roule inexorablement  vers son destin la rapprochant du rendez-vous d’embauche, un vrai cauchemar. Soudain une main bienveillante se tend vers elle pour lui offrir un mouchoir en papier qui lui permet de le nouer autour des agrafes pour en faire une fermeture rudimentaire mais efficace. Solidarité féminine précieuse.

Arrivée à son rendez-vous avec quelques minutes de retard elle se sent plus forte et plus déterminée que jamais. Le mouchoir toujours en place lui rappelle la force de l’entraide.

Lors de l’entretien  elle parle avec confiance et enthousiasme, son expérience, ses compétences et sa capacité à gérer l’imprévu…

Le soutien-gorge rebelle devenait une anecdote, un souvenir amusant dans une journée extraordinaire, un voyage au sein de la féminité.

13 commentaires à propos de “#gestes&usages #04 | ça lâche ”

  1. Ça lâche mais il prend « ce sein qu’on ne saurait voir «  en lisant dans le train ligne H bondée je ris. Merci !

  2. Merci Raymonde pour ce savoureux mélange de l’accident et de l’histoire. Pour Erminie Cadolle et Louise Michel. Et ce « réduite à ce sein qui brave les conventions ». Il n’est plus l’heure de brûler les « soutifs ». Le #balancerlesporcs est bien plus efficace.

    • Surtout ne pas brûler les soutifs, tant de charme, de plaisirs et de partage… tout dépend comment et avec qui. Avant nous étions lacées avec les corsets, on respire un peu mieux…
      Merci Ugo

  3. Ah trop bien ! drôle, féminin, j’ai adoré ! je n’ai pas compris comment on pouvait rattacher un soutien gorge avec un mouchoir mais on s’en fout. Merci pour ce texte qui démarre ma journée. Bien à vous.

  4. y’a du vécu dans tout ça !
    eh oui, bien sûr que c’est drôle !
    encore une histoire de fille…
    merci Raymonde pour soudain nous distraire, nous faire rire…

    • Oui merci Françoise, finalement quand ça lâche on peut ressentir tout à la fois un souci et un soulagement, autant en rire

  5. merveille cette saga du soutien gorge (on imagine) et au passage me suis un peu instruite

    • Madame Cadolle une institution, aujourd’hui on tend à se « délacer » et je ne sais si la maison existe toujours, mais je l’ai connue… Bonne journée Brigitte

  6. Quelle énigme en sus, comment d’un mouchoir en papier le problème a été résolu ! Alors donc on ne le saura jamais ? Texte et anecdote savoureux. Merci, Raymonde.