À cause de la couleur de sa peau, du teint transparent de ce voile de soie, que le soleil traversait en se répandant comme l’eau sur un papier buvard, le pigmentant de points discrets de rousseur, au risque de le brûler sans jamais le colorer, voile laiteux qu’aucun bronzage d’une mode absurde ne pouvait truquer. Comment le travestir ?
C’est en cachette, après avoir volé quelques sous dans la poche à la doublure rugueuse de pantalon de son père, qu’elle avait enfin pu s’acheter ce pot convoité chaque jour lorgné à la devanture de la parfumerie, le regard plongé dans son reflet. Ce carton épais gris vert argenté qu’elle pouvait maintenant attraper, tenir dans sa main adolescente et maladroite, déjà elle savourait sa victoire, une promesse. Tendre le bras impatient à saisir ce pot laqué décoller le couvercle sentir le frais sur les doigts, l’approcher de ses narines palpitantes, se délecter de l’odeur fleurie et fraîche comme une brise de mer. Et toujours se cachant, poser sur son index quelques traces de fond de teint doré à étaler sur la tendresse de sa jeunesse, caresser ses joues de matriochka, une sensation de sensualité interdite. Elle s’était regardée dans un bout de miroir fracturé sous toutes les coutures et s’était sentie grandie comme une princesse avant d’aller au bal
mais une fille comme les autres
Ce fond de teint comme un masque la cachait forcément. Elle était allée chercher un fard pour dissimuler ses doutes, un miroir déformant. Elle a attrapé son gant de toilette suspendu au clou et frotter la couche épaisse, un faux semblant, puis nettoyer ses blessures, de ses doigts elle a fouillé sa peau.
très beau
on pénètre peu à peu, on entre dans la peau…
La peau nous en dit tellement, merci
C’est finement écrit. On entre dans le texte par les détails, c’est une sensation très agréable. Merci.
Merci pour la finesse…
Comme si c’était hier. Extraordinairement tout reconnaître. Même les quelques sous volés dans la poche du père. Et déjà la difficulté à faire avec les faux-semblants..
Très beau texte, très belle langue. Précieux.
merci Véronique, est-ce bien différent aujourd’hui que les robots peuvent ressembler aux humains alors que les humains sont parfois déjà des robots…
Chère, jamais un robot ne se regardera dans le miroir ne se trouvera trop pâle n’aura l’idée de se procurer du fond de teint et de se l’appliquer dans le secret d’une salle de bains, ne s’en réjouira d’abord pour ensuite changer d’avis, ne penchera alors son visage sur l’évier pour avec un peu de difficulté se l’enlever au gant de toilette et sortir de cette expérience différente, ayant grandi, et sans que ça ne trouve d’ailleurs directement à se dire, à s’écrire. tout ce que tu écris ici vient d’une mémoire du corps, d’une expérience de son image, du regard, sur soi, des autres, que l’ia ne connaît pas et que je reconnais intimement. ça, ça ne change pas.
« de ses doigts elle a fouillé sa peau »
étrange expérience féminine, cacher pour embellir, quête de vérité, tout enlever, ne pas tricher, fouiller et trouver peut-être des réponses
Peut-être, aujourd’hui, peut-être… Merci Huguette
« mais une fille comme les autres » et surtout comme soi-même, dont les tentatives malhabiles et précieuses pour s’accorder plus de de confiance, pour se faire une place au monde, quitte à s’en cacher, sont décrites ici avec beaucoup de délicatesse. J’ai trouvé ce texte très beau à lire, merci.
Tout a été dit, l’avantage d’arriver après… Je suis d’accord avec chaque commentaire, « le fouiller sa peau » d’Huguette, « une fille comme les autres » de Laure, s’y reconnaître de Véronique, la sensation à la lecture de Jean-Luc, et le « très beau, on y pénètre de Françoise. Je passe au #2. Merci, Raymonde.