- Et si elle m’avait posé un lapin ?
Dès son coup de fil, je fonce jusqu’à la Halle, plus facile à trouver que ma baraque, sans adresse, seul mon nom… je lui ai dit « la Halle », j’ai oublié que désormais, c’est « Place des Héros de la Résistance » qu’il faut dire ; dans le coin, les maquis pullulaient, alors des héros, sans doute plus d’un, à commencer par Semprun, capturé dans la forêt de ; lui raconter tout ça… à condition, qu’elle ne m’ait pas posé un lapin.
Parti à pied, pas fermé à clé ; la Halle, à dix minutes, bon pas ; au café Bonnet, tourner à droite, on voit encore le bandeau à mi-hauteur : ETOILE CINEMA, mon père avait fait un article dans l’Est Eclair, comme son père avant lui, chroniqueur judiciaire dans l’Indépendant, écrivaillons, des histoires de braconniers pris la main dans le sac, serrés au collet comme leurs maigres lapins ; lui raconter tout ça, au retour ; on s’installera au salon, assis devant un bon feu. Encore quatre-cents mètres entre les murs de pierre, clôturent les jardins bordant la rivière, à l’abandon, plusieurs, chacun sa porte en bois, descendre trois degrés, linteau de pierre plate, peinture grise ou bleu-charrette, les ronces, le lierre surgis entre les marches déchaussées, ferment l’ouverture.
Elle devrait trouver…, « la Halle » c’est plus facile que, disons l’église – des églises, il y en a trois, une par secteur du village -, ou la mairie, qu’on ne voit pas, en retrait dans un parc, l’ancien château St Louis, ancien home d’enfants, croisé quelques uns à la communale, parfois des tziganes, racontaient des histoires de voyages, des histoires fantastiques ; la Halle, classée Monument Historique, donc panneaux indicateurs, circuit fléché.
Passé le dernier pont sur la Laignes, arriver sur la place, l’édifice, son toit, immense, surface de petites tuiles bourguignonnes, descendant bas sur les épais murs de pierres blanches taillées, comme partout ici. Lui montrer la charpente de gros chêne, capable de porter une couverture de « laves », ces pierres de calcaire délité exploité localement, aux « lavières » ; quand ont-elles été remplacées ? face à l’entrée, l’arbre de la liberté porte, allègre, ses 250 ans.
Elle n’est pas là ! un lapin, ce rendez-vous bizarre après long temps de silence ; elle jouerait avec moi comme au jokari, ce jeu de plage pour famille qui s’ennuie? elle part, elle revient, elle part… attention, au coup de raquette en bois, parfois le fil cassait, la balle filait en direction des vagues.
Tout à coup, elle est là, tout sourire, ses bras m’entourent, s’enroulent autour de moi comme un retour du fil élastique, plus solide que je ne pensais ; on parle du village, de la maison, du feu dans la cheminée, nous marchons, courons, presque, nous ne voyons pas les maisons de ce village-rue, hérissé d’arêtes de poisson, ruelles pentues, tortueuses. Une porte banale, trois marches, un déclic, le couloir aux motifs fleurdelisés, nous y sommes.