Ascenseurs
Ascenseur du travail quand on est seul, l’occasion de jeter un coup d’œil dans le miroir, de quoi j’ai l’air, parfois même le temps de tailler un poil de barbe, entre le niveau moins un et le niveau un il y a exactement le temps de couper un poil de barbe. Si je prends dix-huit fois l’ascenseur dans la journée, je pourrai bien avancer, question barbe. Le temps de trajet parfaitement intégré dans le corps, qui sait imprimer un léger mouvement lorsque la machine s’arrête, anticipation automatique, et délicieuse pourtant, de cet arrêt toujours un peu brusque, avec la petite sonnerie, ding. Au travail.
Ascenseur du travail quand il y a du monde, personne n’ose se regarder dans le miroir, ne parlons même pas de se tailler la barbe, le regard se dirige d’abord vers les pieds, mais c’est un peu gênant, alors on surveille l’afficheur du panneau de commande sur lequel défilent les étages, comme s’il y avait le moindre intérêt, le moindre suspense dans cette succession de chiffres alors que non, chacun connaît sa destinée et chacun connaît la durée du voyage. L’ouverture des portes, ding, est quand même un soulagement, on est délivré de l’autre, c’est un espace si confiné.
Ascenseur de l’hôpital, énorme, déprimant, NIVEAU 1 – ORTHOPÉDIE, NIVEAU 4 – ONCOLOGIE – NIVEAU 7 – CHIRUGIE AMBULATOIRE – NIVEAU -1 – MÉDECINE NUCLÉAIRE, pas de miroir, les familles à l’air désemparé, le personnel en blouse avec des stylos dans la poche et, aux pieds, des sabots de plastique, parfois un malade avec sa potence et sa perf, ou sur un lit à roulettes. Le regard ne sait où se poser, il fuit et ricoche partout, on a hâte que ça se termine mais en même temps non, la destination n’est pas désirable, en général.
Ascenseur de la tour Eiffel, bondé, on essaie d’y entrer en dernier, on lutte un peu pour ne pas être au milieu, d’où l’on ne voit rien, il y a la même promiscuité que dans les mornes ascenseurs du quotidien mais ici elle est moins gênante, parce qu’on est ravi, on ne fera ça qu’une fois peut-être dans sa vie, alors on est obligé de sourire, on s’extasie dans différentes langues, on prend des photos dans tous les sens, surtout des photos avec des têtes au premier plan qui bouchent la vue ; on sera déçu lorsqu’on les regardera.
Ascenseurs qui parlent, étage un, niveau moins deux, fermeture des portes, toutes ces voix féminines – péremptoires, neutres, sensuelles ou étonnées, où sont-elles cachées, ces femmes, ont-elles d’autres emplois, annoncer les stations dans les tramways, dans les bus, indiquer l’itinéraire dans les GPS, les quais de nos trains dans les gares ? parlent-elles encore dans les ascenseurs lorsqu’il fait nuit et que plus personne ne les emprunte ? S’adressent-elles sur le même ton à leurs familles ?
merci pour ce thème de l’ascenseur. J’essaie de lire les écrits des uns et des autres, je suis interloquée par vos trouvailles. Je n’ai pas su exprimer le zoom, regarder, basculer grossir et en même temps exprimer la 3 D.
Merci à vous, moi non plus je n’ai pas vraiment réussi, mais j’ai mis en ligne, après tout c’est un atelier !
attachant, comme votre cuisine et votre biographie.