Sur les premières photos, format portrait, les bordures des volets font deux traces sombres de chaque côté. Dans l’ombre du tilleul, des personnes en tenues estivales sur des chaises longues ou des fauteuils blancs en plastique. Certaines discutent, d’autres écoutent, d’autres sont assoupies. Une gosse, allongée sur une ado qui l’enlace, suce son pouce. Un adulte : regard perdu. Au pied de l’arbre, un plateau rond et multicolore avec des tasses de café vides, des cuillères et un sucrier blanc assorti. À côté, plusieurs sacoches de boules de pétanque. Derrière, à droite, l’aile et le capot d’une voiture gris métallisé. À gauche, le mur en pierre et la porte en bois d’une petite resserre. Sur les deux photos suivantes même décor avec cadrage plus large. On voit la berline et la resserre en entier. Toutes les personnes regardent l’objectif et sourient, certaines ferment les yeux.
Un dimanche d’été à la toute fin des années 80, après un repas de famille. Une ancienne ferme devenue résidence secondaire. Les chaises longues, les fauteuils en plastique blanc ont été sortis et rassemblés dans la cour sous l’ombre du tilleul, pour le café. Sans doute une pétanque après. On profite des grandes vacances pour se revoir au moins une fois par an. Les trois générations après le paysan qui a planté l’arbre. Je quitte le cercle familial pour rejoindre ma chambre au premier étage. La fenêtre ouvre en plongée sur la cour, dans l’axe du tilleul. Pour se garder de la chaleur et laisser passer un filet d’air, cette habitude d’entrouvrir seulement les volets. Caler contre eux, en appui, l’objectif dans le sens vertical. Matériel argentique bas de gamme : boîtier reflex Minolta X300 et objectif Tokina 35-70 mm. Pratique empirique, aucune technique sinon la lecture d’un livre d’Édouard Boubat. Pour le développement, un labo industriel sous-traitant du supermarché local. Régler la netteté et photographier, plusieurs fois. Ensuite, pousser les volets. Les têtes se tournent. Souriez. Cadrage horizontal et nouvelle photo. Je la double on sait jamais. Bientôt, je découvrirai le travail de Raymond Depardon, avec des photos prises pas loin de la ferme. Plus tard, je déchirerai toutes les photos de cet été-là.
Plus tard, je déchirerai toutes les photos de cet été-là.
On comprend à la fin le pourquoi du sans photo mais le souvenir semble gravé profondément. Ton texte, tes mots nous font voir cette photo, n’est-ce pas là l’essentiel ?
Bonjour Jérôme
Belle description des photos et des « alentours » de la prise de vues.
Tant pis si les clichés ne sont pas là… ils existent par ton récit.
Merci !
Pouvoir du récit. Décrire la photo et le moment de sa réalisation. Restituer le tout. Merci pour ce texte qui donne à voir.
La scène de famille paisible et le déchirement final comme rebondissement, c’est déjà une histoire
Quelle dernière phrase! Avec délicatesse et intensité tout à la fois.