Il serait là, silhouette massive, assis au bord du lit, jambes pendantes, face à l’armoire semée de pétales multicolores, avec à sa gauche un coin de penderie fermé d’un rideau aux rayures colorées assorti à ceux de la fenêtre ouverte sur le jardin. Il ne bougerait pas, corps empli de sommeil. Il est des lits comme des voyages dans des chambres Tendakayous. Des lits dont il est difficile de s’extraire, qui prennent toute la place. Celui-ci serait posé contre un mur fuschia avec sa tête de lit en bois jaune, ses lattes verticales bleues, roses, rouges, orangées et au pied du lit une longue commode où seraient alignées trois plantes immenses, rideau luxuriant face à la fenêtre. Il est des lits comme des bateaux difficiles à quitter. Des lits à rester assis longtemps, en hésitation, pieds suspendus au-dessus du jour qui vient. Des lits où se blottir à deux, trois, quatre, cinq, avec des rires d’enfants, des rêves qui ébouriffent, des peurs, des inquiétudes, des secrets. Il est des lits-centres. Celui-ci mesure cent quatre-vingts centimètres de large sur deux mètres de long. C’est un lit où se serrer, s’aplatir, s’enrouler, s’étreindre, un lit nourri d’histoires surplombé de six miroirs carrés de trente centimètres sur trente aux contours colorés, alignés par trois sur trois rangées. De part et d’autre du lit des chevets minuscules et leurs appliques. Sur le chevet de gauche une peinture d’enfant, une boite en papier ouverte sur une gourmette d’adolescent en argent. Sur le chevet de droite une pile de livres, un réveil digital aux chiffres rouges lumineux comme des yeux ouverts dans la nuit. A l’angle le mur fushia passe à l’orange. Affiche de l’exposition de la Collection Morozov, Fondation Vuitton, 22 septembre 2021 – 22 septembre 2022, choisie pour la vigueur des coups de pinceau et le réel des vagues mélangées au bleu du ciel avec sa ribambelle de voiliers, coques brunes, triangles blancs, poussés par le vent sur une mer vibrante. Plus loin une reproduction d’un tableau de Pablo Picasso format A3, fenêtre ouverte sur mer, du bleu encore, du ciel, du blanc, quelques oiseaux. Plus loin encore un casier d’imprimeur rempli de silhouettes minuscules proposant des myriades d’histoires, objets miniatures achetés, offerts ou gardés depuis les enfances qui se sont blotties un jour au creux du lit immense. L’angle du mur toujours orange jusqu’au bord de la fenêtre passe au jaune. Fenêtre large, haute à deux fois six carreaux ouverte comme un tableau sur le jardin qui déborde de vert et de rouge. À droite de la fenêtre une coiffeuse en bois doré et marbre clair avec son miroir ancien, piqué de noir, impossible de s’y regarder, sa chaise bariolée et ses boites précieuses, ses statuettes, ses colliers et ses boucles d’oreilles suspendues, ses pots remplis de bagues et ses deux petits tiroirs peints l’un en rose, l’autre en orange. A gauche de la fenêtre l’affiche de l’exposition L’atelier d’Alberto Giacometti au centre Pompidou - 17 octobre 2007 – 11 février 2008, interrupteur blanc près de la porte, blanche elle aussi avec sa poignée ronde en bois sombre sculptée. Passés l’angle et la porte, un grand miroir ancien aux moulures dorées, ternies, posé à même le sol contre le mur jaune avec au-dessus du miroir la reproduction du tableau Champs sous un ciel d’orage de Vincent Van Gogh puis à nouveau l’armoire aux pétales multicolores mais sans le corps massif assis devant. Il se serait levé, aurait quitté la pièce et l’odeur du café parviendrait jusqu’au lit posé au centre de la chambre Tendakayou où elle rêverait, silencieuse, immobile, près des yeux rouges ouverts sur la nuit qui finit.
Un lieu de calme
Un lieu qui me fait rêver, voyager. M a fait penser à un décor de Théâtre de la tempête… très beau cette présence.
… un lit comme un bateau difficile à quitter…merci pour le voyage métaphorique qui m’embarque loin…