#anthologies #38 | Premier voyage

Aujourd’hui elle est prête, sa maison bien rangée, les plantes regroupées dans la baignoire sous la lumière de la fenêtre à barreaux. La voisine viendra ajouter de l’eau tous les quinze jours.

Aujourd’hui elle boit un thé pour le petit déjeuner, pour ne pas ouvrir un nouveau paquet de café, ne pas ouvrir une nouvelle bouteille de lait. Le frigo est vide, dégivré, propre. Le congélateur aussi, cet été elle ne l’a pas rempli. Elle part pour toute la durée du visa de tourisme.

Aujourd’hui elle porte le jean acheté pour l’occasion, la vendeuse le lui a confirmé les américains sont toujours en jean. Elle en a un, elle ne veut pas faire honte à son Grégoire.

Aujourd’hui la valise à roulette, prêtée par la voisine, bouclée depuis la veille est posée sur le palier.

Aujourd’hui, c’est le jour des premières fois. Dans le taxi qui l’emmène à Marignane, à la radio, Eminem parle sous l’orage et Dido remercie. Elle n’aime pas, mais depuis que la voisine lui a expliqué les paroles elle supporte.     

Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres, aujourd’hui elle part voir son Grégoire. Elle ne l’a pas vu depuis Noël mille neuf cent quatre vingt dix neuf, il était venu avec sa nouvelle épouse et leur tout jeune fils. La nouvelle épouse semble gentille.

Aujourd’hui, elle prend un calmant juste avant de monter dans l’avion pour Roissy. Dans son sac elle a aussi un somnifère pour la traversée de l’atlantique. 

Aujourd’hui elle parvient à trouver une dame qui l’accompagne jusqu’à la correspondance pour New York. Elle sort son passeport neuf. Son premier passeport. 

Aujourd’hui, elle n’a pas faim, l’avion pour New York décolle à quinze heure, elle s’assoit dans la salle d’attente. 

Aujourd’hui, onze septembre deux mille un, aucun avion ne décollera

A propos de Noëlle Baillon-Bachoc

Lectrice compulsive, attirée depuis le plus jeune âge par la littérature de l’imaginaire avec une prédilection pour le fantastique. Je me consacre à présent totalement à l’écriture. J’anime des ateliers d’écriture et des stages dédiées à la littérature de l’imaginaire.

4 commentaires à propos de “#anthologies #38 | Premier voyage”

  1. La chute (sans jeu de mot) est d’autant plus brutale et explosive que l’anaphore invite à l’empathie… chacun.e se souvient de cette date !
    Merci pour ce texte
    .

    • Merci Claudine pour ta visite et ton commentaire. C’est une des ces dates tellement chargée en émotion que j’ai préféré me concentrer sur un personnage sans histoire à qui il n’arrive rien.

  2. Quand « aujourd’hui » mène à une date – celle-ci ou une autre.Je ne sais pas si l’absence de point final est voulue mais je trouve que tout repose / commence sur cette absence. Merci

    • Oui l’absence du point était intentionnelle. Merci Cécile pour ta visite et pour l’avoir vu.