La bâche n’était pas là et pendant que je l’attendais, plus rien n’advenait. Et j’avais beau me dire que quand même c’est rien qu’une bâche et qu’une simple bâche quand même ne peut pas arrêter le temps, le temps s’était arrêté. Mais la bâche n’avait pas arrêté le temps de manière agréable, comme le font les vacances à la plage avec plus aucun horaire dans la tête, non la bâche avait arrêté le temps dans une attente passive insupportable. Chaque jour on devait se lever avec l’idée de la bâche, l’idée qu’elle serait là et se coucher avec le constat terrible, que non elle n’y était pas. Plus la bâche n’était pas là, plus on l’attendait et plus on l’attendait moins elle semblait devoir arriver. La bâche est devenue pour moi comme un objet magique, capable non seulement de suspendre le temps, mais aussi de s’insinuer à l’intérieur de celui qui l’attend et d’en transformer toutes les perceptions. La bâche absente remplit l’espace vide dans la tête de celui qui l’attend, avec des centaines de bâches inexistantes que l’on attend pourtant. A force d’attendre la bâche dans ce temps qui ne passait plus, je me suis mise à parler à des inconnus. Nous ne nous voyions jamais en vrai, nous nous parlions seulement après de longues minutes remplies de vide. Avec ces inconnus nous parlions uniquement de la bâche. Avec ces inconnus je n’ai jamais parler d’autres chose que de la bâche. Et de la même manière que la bâche a su arrêter le temps, la bâche a arrêté les mots des gens. La bâche a coincé les discours qui se sont mis à tourner en rond, autour d’elle, de la bâche, enfin surtout autour de son absence et de toutes les conséquences que cela provoquait. Les discussions avec les inconnus concernant la bâche étaient parfois apaisées, parfois tristes, et parfois comme une tempête coincée elle aussi, comme des mots violents jetés contre ces gens inconnus qu’on ne voyait pas non plus, et bien que nous ayons en commun l’absence de la bâche, la distance entre nous grandissait, ils ne me voyaient pas non plus. Un jour pourtant, la bâche a fini par arriver, et d’un coup il a fallu apprendre à vivre avec l’absence de l’absence de la bâche.
Texte fort, absurde, construit comme en spirale plastique un peu suffocante. quelque chose de surréaliste avec ce mot bâche qui est ouvert, béant, lourd, qui devient promesse