Le mouvement des corps quand l’agent donne le signal de se diriger vers la passerelle du vapur à Eminonu. Le mouvement des corps dans les rames de métro, dans les bus, dans les taxi où il faut être au moins 8. Le mouvement de mon corps quand je prends le taxi seule. Mon corps dans la ville, dans la chaleur, dans la fatigue parce que j’ai trop marché.
Des corps et des visages sur les photos de cette exposition dans une galerie d’art. Ozgun nous les commente les unes après les autres sous que regard bienveillant de notre hôtesse. Elle est distinguée, elle parle français et souri avec grâce et gentillesse. Avant la visite de l’exposition, elle nous a invités à prendre un chai et des baklavas. Elle nous raconte Gezi park comme d’une grande utopie, un élan collectif d’aspiration à plus de liberté et de résistance. Certains de ses amis sont en prison. Elle le dit et je comprends qu’elle aussi pourrait un jour être emprisonnée.
Les corps. Les corps des hommes assis sur des tabourets bas à côté d’étals d’ail et de cerises.
Mon corps seul devant l’entrée du Grand Almira.
Istanbul s’efface. L’objet du désir de roman est sans doute ça, le désir de raconter comment s’efface le souvenir. J’ai mené tout au long de ses pages une longue et précise enquête sur l’effacement, la lente disparition de la mémoire. Comme le noyé qui cherche l’oxygène se débat jusqu’à capituler et sombrer, j’ai dressé l’inventaire de ce dont je me souvenais d’Istanbul jusqu’à ne plus avoir de mots comme celui qui se noie n’a plus de souffle.
Oublier Istanbul.