Je parle d’où l’on m’a couchée un matin qu’il pleuvait, fardée, la mâchoire ceinte d’un cordon, vêtue de cette robe grise prise au magasin des indigents et chaussée : « parce qu’on ne part pas sans chaussures — bottines recousues à gros points qui m’entraient dans l’os – sous peine d’errer sans repos sur la terre », avait dit la bouche au-dessus de moi. Je parle d’où l’on m’a couchée quelques planches alignées sous la terre et cailloux; qu’importe le nom coulé à la pierre. Tombée là sans pourquoi je n’étais pas venue par choix mourir sous vos lumières. Livres de chair entre vos mains aurait-il fallu que je me caparaçonne sous un amas de feuilles ? que j’y pourrisse : morte avant que d’être morte, dérobée à la toilette. Je parle d’où l’on m’a couchée un matin : mariée pour la mort, baignée, ointe, nue, lue ; moi qui n’avait pas dévoilé mon corps même à ma propre noce, accouchant filles sur filles, linges sous linges. Ce que mon corps a livré à vos gestes rituels vous l’avez refoulé sous vos paupières; blessures et remugles de chair à présent tombées en poussières, douleurs fondues à l’os. Me voici enfouie sous la terre, couverte d’une robe et chaussée de silence. Qu’on m’ait appelée Sarah, Blanche ou Marie? ( en son for intérieur : est-ce que tout personnage n’est pas d’abord un mort ?)
pour la voix des morts lu il y a quelques temps Le Champ de Robert Seethalter, pensé encore à Bobok de Dostoïevski
sublime ! comme un bercement mais qui réveille, vraiment !
bercement c’est un beau mot et un très beau geste . Merci Gracia pour le mot.
Nathalie c’est beau c’est très beau même… ça a la force d’un poème, d’une incantation ! Et puis cette formule anaphorique qui revient longtemps nous hanter (c’est le cas de le dire !) après la lecture : « Je parle d’où l’on m’a couchée » sublime on pense au tandis de j’agonise de l’oncle Will ! La question finale qui résonne et le titre, quel titre ! Juste merci pour ces mots !
Oh Merci Camille pour le grand Will de j’agonise m’a impressionnée celui-là .
« enfouie sous la terre, couverte d’une robe et chaussée de silence »
Merci Nathalie. Magnifiques évocations. Quelle force dans les voix de ces mortes.
Et merci aussi pour Robert Seethalter et Bobok .
plurielles voix qui ses sont tues . Merci Ugo pour la lecture.
Je parle d’où l’on m’a couchée…
Quel beau texte !
( en son for intérieur : est-ce que tout personnage n’est pas d’abord un mort ?)
Superbe !
Merci
ah oui oui très beau et la dernière question qui ouvre la poitrine – est-ce que tout personnage n’est pas d’abord un mort ?
superbe –
Lisa tous nous sommes des morts en devenir
plus ou moins considérés même dans la mort (ce qui est déjà au moins aussi terrible dans la vie)
… morts en devenir heureusement qu’on l’oublie aussi en écrivant . Merci Brigitte !
Merci Françoise et Lisa ( est-ce que tout personnage n’est pas un mort qui demande la parole ) merci de vos lectures
C’est terriblement magnifique ! Ton écriture me saisit autant que ton regard photographique. Au coeur de la mort, un texte et un personnage terriblement incarné. Saisissant. Tes textes se lisent et se relisent tellement ils sont denses… Et merci pour ces conseils de lecture ! A très vite Nathalie !