#anthologies #31 | remugles

Je parle d’où l’on m’a couchée un matin qu’il pleuvait, fardée, la mâchoire ceinte d’un cordon, vêtue de cette robe grise prise au magasin des indigents et chaussée : « parce qu’on ne part pas sans chaussures — bottines recousues à gros points qui m’entraient dans l’os – sous peine d’errer sans repos sur la terre », avait dit la bouche au-dessus de moi. Je parle d’où l’on m’a couchée quelques planches alignées sous la terre et cailloux; qu’importe le nom coulé à la pierre. Tombée là sans pourquoi je n’étais pas venue par choix mourir sous vos lumières. Livres de chair en entre vos mains aurait-il fallu que je me caparaçonne sous un amas de feuilles ? que j’y pourrisse : morte avant que d’être morte, dérobée à la toilette. Je parle d’où l’on m’a couchée un matin : mariée pour la mort, baignée, ointe, nue, lue ; moi qui n’avait pas dévoilé mon corps même à ma propre noce, accouchant filles sur filles, linges sous linges. Ce que mon corps a livré à vos gestes rituels vous l’avez refoulé sous vos paupières; blessures et remugles de chair à présent tombées en poussières, douleurs fondues à l’os. Me voici enfouie sous la terre, couverte d’une robe et chaussée de silence. Qu’on m’ait appelée Sarah, Blanche ou Marie? ( en son for intérieur : est-ce que tout personnage n’est pas d’abord un mort ?)


 

pour la voix des morts lu il y a quelques temps Le Champ de Robert Seethalter, pensé encore à Bobok de Dostoïevski 

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

2 commentaires à propos de “#anthologies #31 | remugles”

  1. Nathalie c’est beau c’est très beau même… ça a la force d’un poème, d’une incantation ! Et puis cette formule anaphorique qui revient longtemps nous hanter (c’est le cas de le dire !) après la lecture : « Je parle d’où l’on m’a couchée » sublime on pense au tandis de j’agonise de l’oncle Will ! La question finale qui résonne et le titre, quel titre ! Juste merci pour ces mots !

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