#anthologie #03 | la balle de tennis

J’ai vu la balle de tennis. La balle est jaune comme toutes les balles de tennis. Mais je crois qu’il y a des balles de tennis vertes, des roses aussi. Je ne connais pas c’est évident toutes les balles de tennis pourtant je suis presque certain d’en avoir vues d’autres couleurs. Peut-être que je me trompe. Peut-être que j’imagine les balles d’autres couleurs. Peut-être que j’ai rêvé les balles vertes ou roses, peut-être même bleues, mais je suis bien certain que je n’ai jamais tenu de balle bleue. C’est une supposition la balle bleue puisqu’il en existe des jaunes, des roses, des vertes ! Alors c’est évident, pourquoi pas des bleues ? Je serais stupide de déclarer il n’existe pas de balle de tennis bleue comme si le fait de voir ou ne pas voir, ou même d’avoir entendu parler ou jamais entendu parler, comme si c’était suffisant pour dire la balle de tennis bleue n’existe pas, la preuve je ne l’ai jamais rencontrée. Ce serait faire preuve d’un très grand orgueil, d’un manque total d’humilité, ce serait faire comme si tout l’inconnu du monde n’existait pas, juste à cause d’une balle de tennis bleue. J’ai vu la balle de tennis jaune dans le tiroir en osier du meuble sous l’escalier. Je l’avais complètement oubliée ! Je montais dans l’escalier à claire-voie, je me disais je vais écrire sur un objet je ne savais pas encore lequel et j’ai vu, en mettant le pied sur la première marche, le meuble en osier sous l’escalier. J’ai vu les tiroirs du meuble en osier, et le trou pour tirer le tiroir du milieu, le trou comme on fait dans les tiroirs en osier pour fabriquer la poignée. Derrière le trou j’ai aperçu à moitié la balle de tennis jaune fluorescent, le jaune ordinaire des balles de tennis ordinaires. Pas les vertes ni les roses encore moins les bleues. Je pense que c’est dramatique. Ça arrive si vite, sans y penser, ça tombe des lèvres : je dis les jaunes fluorescents c’est les balles ordinaires, à cause du nombre, ou de l’habitude d’en voir, chez soi ou à la télé, et tout de suite je me reprends : est-ce-que les balles roses ou les vertes, peut-être les bleues, c’est pas ordinaire en mieux ou en moins bien, ou est-ce que c’est juste différent ? Ou, est-ce que les balles imaginées c’est pareil que la balle dans le tiroir d’osier ? J’ai donc vu la balle de tennis jaune à travers le trou noir du tiroir d’osier. En vérité c’est la balle qui me regardait. Elle me faisait comme l’œil du chat derrière sa queue. Elle me regardait mettre le pied sur la première marche de l’escalier. Elle me guettait à moitié planquée, l’air de rien, peut-être elle se demandait si j’allais m’approcher, si j’allais ouvrir le tiroir, si j’allais recommencer. Peut-être qu’elle se disait pourvu qu’il ne m’ait pas remarqué, pourvu qu’il me foute la paix. En supposant que les balles jaunes ou vertes ou roses ou bleues soient capables de pensées ou alors c’est juste imaginer, mais c’est toujours ce qu’on fait sans connaître. Sinon on n’imagine pas, on sait. J’ai appris que es balles de tennis ont toutes des histoires différentes et des vies plus ou moins dures. Elles sont catapultées à des centaines de km/h, finissent empalées sur des crochets à l’arrière des voitures, déchiquetées dans la gueule des bergers-allemand, c’est terrible la vie des balles de tennis. Celle qui vit chez moi est bien tranquille dans son tiroir. C’est en la voyant que je me suis rappelé que je l’avais oubliée. J’ai oublié sa douceur pelucheuse dans la main. Quand je l’ai vue j’ai repensé aussi à la première fois dans le magasin, quand je l’ai choisie, même si j’ai vraiment beaucoup oublié. J’avais pensé toi et moi on va bien s’entraider. Je nous avais des projets. J’avais décidé on va s’apprivoiser ! Ça me fera du bien ! Je me voyais : je la prenais je la lançais en l’air, de plus en plus haut, je la rattrapais, je la relançais, on faisait le numéro de jongleur, sur un seul pied, sur l’autre, récupérer d’une main, de l’autre, en claquant des mains une fois deux fois trois fois avant de la rattraper. Je nous voyais cul et chemise ou crêpe et poêle si on peut dire pour main et balle. La balle de tennis je ne sais pas ce qu’elle pensait sur l’étagère du magasin, peut-être qu’elle s’en foutait, ou bien elle s’est demandée qu’est-ce qu’il me veut, ça je ne saurai jamais. Tout de suite je l’ai essayée comme souvent ça se fait histoire de vérifier. J’ai vite constaté qu’elle avait besoin de bosser, je ne sais pas à quoi elle était préparée ? Peut-être que les balles de tennis sont spécialisées et personne n’en a la moindre idée. Celles pour les crochets des voitures, celles pour les crocs des chiens, celles à serrer desserrer pour refaire la force des poignets, celles pour les deux cents km/h et toutes les autres possibilités. Celle-là ne savait rien faire de ce que je lui demandais. Elle rebondissait sur le bout de mes doigts, elle me tombait des mains, l’une comme l’autre, roulait sur le parquet se planquait sous les meubles. Elle me faisait presque tomber. Je la reprenais. Je la relançais. Elle recommençait. C’était sans fin. Je détestais la balle de tennis jaune fluo. Et puis j’ai vu qu’elle apprenait. La balle de tennis jaune fluo y mettait du sien. Elle me tombait dans la main, l’une l’autre, sur un pied, sur l’autre, en claquant une fois deux fois trois fois. Un jour on a arrêté de jouer. J’ai pensé qu’elle avait suffisamment progressé. Je suppose que de temps en temps on pourrait bien recommencer, histoire de pas oublier.