#anthologie #prologue | jouer

Je suis née l’avant dernier jour du mois de décembre, née en hiver, née dans la lumière, née d’une lignée de femmes nées en hiver. Je suis née au mois des lumières, dernier mois de l’année, avant dernier jour, une guerre avait lieu, mon père y était. J’ai braillé sans doute, balbutié, permis à mon père de rentrer, il en a profité, est reparti avec difficulté.

J’ai dormi, rêvé, écouté les bruits, entendu les chuchotements, les  cris de la nuit, les mots non dits… J’ai grandi, grandi, grandi, j’ai agrandi mon univers au fil de la vie 

J’ai appris à marcher, j’ai marché souvent, j’ai marché parfois longtemps, j’ai gravi des montagnes, j’ai gravi le mont blanc, j’ai regardé mes enfants apprendre à marcher avec bonheur, j’ai découvert que le bonheur existe avec eux et sans eux, j’ai compris un jour que je l’avais tenu un court instant 

J’ai joué à la poupée, joué à la marelle, joué à sauter à la corde, joué aux jeux de société joué avec mes enfants, joué au volley à vingt ans, joué, joué longtemps, j’en ai fait mon métier un temps, jouant avec les enfants de moins de six ans, jouant avec des enfants qui ne savaient pas jouer, j’ai fait de théâtre, être une autre un temps, un personnage, retrouver l’enfance et se déguiser, aujourd’hui il me reste les mots pour jouer 

J’ai appris à écrire, j’ai écrit à la plume, j’ai fait des taches, j’ai été sanctionnée zéro pointé je n’aime pas les taches, ni les ratures, j’ai lu les mots, j’ai compris les règles d’orthographe et les autres, j’ai encore peur d’en faire parfois des fautes d’orthographe et les autres, les mots m’ont aider et desservis aussi, j’ai aimé écrire, j’ai osé écrire, j’écris, j’écris souvent, j’ai écrit des articles, j’ai partagé avec d’autres, et pourtant c’est si difficile d’écrire, j’ai voulu un métier sans le savoir, j’en ai eu un autre et un jour je me suis rapprochée de mon désir, je l’ai compris, il a fallu du temps,

Je me suis cassée la jambe à dix ans, alitée par obligation, j’ai lu, j’ai lu des livres par centaines, j’en ai gardé en mémoire un certain nombre, je lis, relis, lis et lis encore et encore, j’ai lu des histoires à mes enfants, j’ai lu des histoires aux enfants, je lis des textes à des adultes, je lis chaque jour de ma vie 

J’ai appris à parler, j’ai parlé trop, j’ai trop dit, pas assez, souvent je parle encore trop ou pas assez, j’ai appris à me taire, j’ai appris à aimer le silence et la solitude, je ne sais pas toujours dire les mots justes, je ne comprends pas toujours ses mots,

Qu’ai-je fait de mal ? que n’ai-je réussi pour que tu ailles si mal ? que puis-je faire d’autres qu’attendre ? 

A propos de Caroline Burgy

Lire, écrire, faire écrire, trois mots, marqueurs de ma vie, animatrice d'ateliers d'écriture, ils ont jalonné ma vie depuis quelques années, des rencontres avec quelques passeurs m’ont donné l’occasion de soutenir cette place avec les autres. Marguerite Duras écrivait "l'écriture c'est l'inconnu. Avant d'écrire on ne sait pas ce qu'on va écrire..." sans doute suis je portée par cette part d'inconnu à découvrir au fil du temps...