#anthologie#7 | chute de soleil

25 juin 2024

Le soleil est long à disparaître en cette saison. Longtemps il traîne, illumine la lisière arborée au-delà de la prairie. Longtemps les animaux furètent. J’attends quelque chose. J’attends. J’attends que la qualité de l’ombre soit suffisante pour relâcher mes nerfs, à moins que ce soit la disparition progressive de la clarté qui me serve de signal. Une histoire de corps, de corps qui guette la venue du noir et la puissance du silence. D’habitude je m’en réfère au chant de la hulotte pour me raccrocher à la régularité de son cri en deux-temps et me rassurer sur l’état du monde, mais ce soir la fatigue est telle que je ne l’entends pas. La hulotte n’est pas là, je me demande ce qu’elle est devenue. Impossible de me fixer sur un livre. Impossible de me couper du spectacle. Les lumières entre douceur et incandescence liées à la chute du soleil s’atténuent rapidement au-dessus du coteau. Bientôt le moment juste, encore ça résiste. Les lueurs frôlent les herbes apaisées et se faufilent sous les branches du grand châtaignier pour agacer les ténèbres amassées au cœur de sa matière tortueuse, un tournant décisif, puis quittent l’espace d’enracinement des branches dans le tronc large, remontent au cœur de l’arbre, allument des mèches furtives dans sa canopée. Temps de regagner la maison. Temps de murmurer, d’oublier les remuements du vivant, de s’abandonner à la nuit. Une histoire de corps qui résiste encore.

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

7 commentaires à propos de “#anthologie#7 | chute de soleil”

  1. « Une histoire de corps, de corps qui guette la venue du noir et la puissance du silence. » La hulotte disparue, son chant disparu et le monde basculé. Toutes les sensations ( et l’inquiétude), l’apaisement des dernières lueurs. Touchée par ces lumières en extinction . Merci

  2. « Temps de regagner la maison. Temps de murmurer, d’oublier les remuements du vivant, de s’abandonner à la nuit ».
    Tous ces temps si importants me sont doux à la lecture.
    Merci Françoise

    • tu parles de douceur et il faut y être attentif aussi… on est toujours davantage frappé par la violence ou l’inattendu… mais ce qui est là tapi dans l’herbe tout près, cette brise, ce ciel voilé, dégage une infinie douceur qu’il faut savoir saisir, et durant le crépuscule ça arrive aussi…
      merci Marie

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