Enfin ils sont partis. Ils étaient tous à crier et parler à tort et à travers. À faire des blagues qui ne font rire qu’eux, à se pavaner et à se moquer. Je ne suis pas comme eux. Cette vie en meute ne me convient pas. Ils écrasent tout sur leur passage, les fleurs les herbes et moi. J’aime regarder tout autour, ces petites choses que les autres ne voient pas, les insectes qui se faufilent entre les feuilles, le balancement des branches souples des arbres du jardin, l’eau du ruisseau avec ses changements de couleurs, et tous ces petits bruits qui n’existent plus, lorsqu’ils sont tous là. C’est tout cela que j’aime sentir couler en moi, cela vrille, cela devient fibre dans mon corps. Lorsque les autres enfants s’ébrouent tout autour, tout se désagrège, leurs secousses me déséquilibrent, leurs cris m’oppressent, je retourne mes yeux vers l’intérieur pour ne plus les voir, et pour ne pas me perdre. Lorsque je suis seul, je me sens grand, j’éprouve un sentiment d’existence qui s’effrite dès qu’ils arrivent. J’aime à rester adossé à un tronc d’arbre, m’enivrer de l’odeur qui monte de la terre, ou du chant des oiseaux qui se racontent leur vie, ou près d’une taupinière à espérer les petits jets de terre que la taupe en-dessous fait jaillir, attendre sa venue qui ne vient pas, mais me tenir près d’elle en silence. Alors, à la sortie de l’école, je cherche à me cacher derrière un arbre ou des buissons. Je me fais buisson. Je me fais arbre et mes racines s’enfoncent dans la terre. Je suis couvert d’un feuillage vert qui me dissimule aux yeux de tous les autres. J’attends qu’ils s’éloignent et je prends le temps de respirer et de rêver. Je suis invisible. Derrière une haie, recroquevillé. Et que personne ne me trouve. Enfin je ne les entends plus, ils se sont éloignés sur le chemin. La nature m’appartient. Je pose mes doigts sur des troncs d’arbres, je parle aux coccinelles, j’écoute le vent, je respire, je vis. J’écoute chaque phrase chantée par les oiseaux, j’apprends à les reconnaître. Je ne sais pas pourquoi ils chantent, mais je crois bien qu’ils me parlent. Je suis au milieu des choses, encerclé dans un tout, absolument seul, infiniment seul. Je suis.