#anthologie#5 | danse transe

je marche par tous les temps, parfois je cours, je ne m’arrête jamais jusqu’à trouver un nid pour y passer la nuit, je ne sais plus qui je suis ni d’où je viens, j’ai traversé des villes et des campagnes et franchi des frontières jusqu’à me mettre dans cet état, je suis né loin au Nord dans un pays dont j’ai oublié le nom et l’exacte position géographique, un pays ravagé par une terrible guerre, et j’ai fui en serrant la main de mon père, ma mère elle n’a pas tenu bon, trop de chagrin et d’épuisement sans compter le déracinement et la faim et le froid, j’ai glissé fort ma main dans celle de mon père, il n’y avait que lui pour me tirer vers la lumière vers l’avenir et mes petites jambes couraient alors que lui marchait vite avec sa casquette tirée sur les yeux, à présent qu’il est parti rejoindre ma mère, je marche seul avec mon sang brûlant circulant dans un frissonnement de source et me poussant vers l’avant, tout mon corps porté devant habité par une rage insatiable de vivre, quelques fruits glanés dans les vergers et un quignon de pain pour me contenter, à présent que je n’ai plus mon père pour me réconforter je me blottis dans le foin pour trouver le sommeil et les rêves tourbillonnent en moi comme le sang et autour de moi aussi brûlants que le sang, je n’ai peur de rien, je peux travailler autant que trois hommes réunis, je porte mon corps devant moi et parfois je le laisse courir danser partir dans la transe, les gens me jettent quelques pièces quand je danse pour eux autour du feu, ils perçoivent dans les gestes de mon être funambule l’existence d’une force sauvage et la possibilité d’un autre monde à toucher de la main comme si les étoiles soudain devenaient proches, je marche, je marche, je suis ouvrier-saisonnier et propose mes services dans les domaines agricoles que je traverse et dans les usines des villes qui ponctuent ma route, je danse pour les gens quand ils font de grands feux ou sacrifient des bêtes pour attirer le bon œil, je ne dis rien à personne mais je cherche l’âme-sœur pour habiter ensemble la même demeure, je sais que je pourrais la reconnaître sitôt que je la verrai, le corps porté devant et mains offertes je poursuis mon chemin

un des personnages d'un de mes romans en cours m'est revenu avec cette histoire de corps "porté devant" et il a dansé pour moi...
je l'ai laissé faire...

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

7 commentaires à propos de “#anthologie#5 | danse transe”

  1. Oui, on sent bien cette rage de vivre dans un texte qui emporte et va de l’avant.

    • j’étais un peu désemparée avec cette idée de personnage « portant son corps vers l’avant », je m’interrogeais sur une possible infirmité ou mouvement de bascule, je ne savais quoi solliciter ni comment
      et puis c’est le rythme qui m’est revenu, je n’ai pas travaillé, seulement laissé couler…
      merci d’être passée, Solange

  2. Long chemin, longue marche, longue phrase qui tourne autour et avec la rage de vivre. J’imagine ce texte dit sur scène … Merci!

    • merci pour cette remarque
      dire le texte sur scène, oui
      oui le récit le parcours pareil à un long monologue lancinant et rythmé par les bras qui se lèvent et rejoignent le ciel
      merci Claudine

    • il est en cours et assez avancé, mais je rame à m’y remettre ces temps-ci…
      espère avoir du temps cet été…
      merci Helena pour m’accompagner par ton attente…