1
J’ignore d’où m’est venu ce désir d’écrire l’histoire d’un personnage qui prendrait possession d’une maison hantée. Homme ou femme, à ce stade rien n’est encore décidé. Le personnage serait écrivain et forcément qu’il ne me serait pas étranger, surtout s’il s’agit d’une femme. Il aurait mes habitudes, éprouverait mes inquiétudes et mes solitudes. Tout comme moi, il serait engagé dans un déménagement forcé, dans un changement brutal de vie mais personne n’en connaîtrait les raisons. Les circonstances seraient douloureuses, on les apercevrait en arrière-plan, genre séparation deuil catastrophe. Oui quelque chose de douloureux, ce qui influencerait son regard et sa façon d’aborder ce qui arrive. Je pense qu’ainsi on resterait tout près de la vérité. Car la question est bien celle de la vérité et non celle de savoir qui serait l’auteur et quelles seraient ses intentions.
Hypothèse 1
Aucune invention là-dedans. Ce qui arrive est forcément vrai. Quelqu’un habite la maison, c’est un fait, ou plutôt l’ombre de quelqu’un qui y est née, y a grandi, a subi des violences, a rencontré Jude, a accouché de Simon. Je l’ai parfaitement identifiée et elle a un rôle déterminant dans le roman. L’écrivain demeure cependant le personnage principal.
Hypothèse 2
Je bricole avec les registres de naissance et de mariage consultés en mairie, retiens certaines dates, refabrique des noms de personnes et de lieux pour trouver le meilleur accord. Malgré ces arrangements, tout reste vrai. Un équilibre reste à trouver entre narrateur et personnages.
Hypothèse 3
L’écrivain n’est pas le personnage principal ni la femme apparue dans la cuisine ni même son ombre. C’est Jude qui a pris la place au bout d’un moment. Jude naît dans les ombres et lumières du jardin et il s’invente en harmonie avec les clairières entre les arbres et la maison, son isolement, son grand corps blanc et le ciel par-dessus la campagne. Jude est hors temps. Sa présence est si forte qu’il ne peut qu’être vrai. Le texte l’e l’accueille comme le refuge ouvre sa porte au randonneur.
2
En fait tout a commencé l’année dernière. Il était question au début d’une chambre qui servait de bureau, équipée d’une table inconfortable. Des fragments s’étaient rassemblés dans un cahier. Nature sauvage au dehors, bâtiments plus ou moins en état, lumières étranges dans la cuisine. Et ça racontait l’histoire d’une femme qui avait habité la maison avant moi. C’était moi la femme qui écrivait le livre et entendait une voix qui la guidait. J’avais commencé à mettre de l’ordre dans mes feuillets mais je n’avais pas prévu que Jude prendrait autant de place, que Simon n’aurait pas toutes ses capacités, que leur histoire serait aussi terrible. Maintenant j’ignore ce que tout ça va devenir.
Ou faire confiance aux circonstances qui me dégageront du temps cette année ou l’année prochaine et me permettront de faire avancer le projet.
Ou alors prendre en main l’affaire tout de suite, m’affronter à moi-même parce que je sais par expérience que sans travail il n’y a rien qui tient debout en matière d’écriture, qu’il faut trimer pagayer à contrecourant pour parvenir à quelque chose de cohérent et d’intéressant.
Pas d’autres hypothèses. Laisser tomber ou travailler. Tourner le dos ou mordre dedans. Préférer le chaos ou décider de se mettre à l’œuvre jusqu’à saigner.
3
Vais-je parvenir à donner cohérence à tout ça ? Vraiment pas sûr. L’observatoire pourrait devenir un lieu paisible, un lieu où je pourrais me retirer et voir au-delà de l’horizon immédiat, peut-être même y passer la nuit parfois pour écouter la rumeur des bêtes et contempler les étoiles ? Mais quelle matière va aller se nicher dans les interstices comme limon entre les pierres ?
Plutôt des éléments concernant la narratrice — de fortes chances que ce soit une femme. Car au fil du récit il va falloir qu’elle se dévoile davantage, révèle pourquoi elle a changé de vie. Ses voisins s’interrogent à son sujet et s’inquiètent beaucoup pour elle, sans compter que le lecteur a besoin de quelque chose de solide à se mettre sous la dent.
Plutôt une fresque familiale qui se dessinerait en filigrane tout au long du siècle dernier — la ferme aurait été construite en 1900 selon mes informations —, ce qui donnerait de l’accroche au roman.
Plutôt des notes issues du journal de l’écrivain. Elles pourraient être rédigées au temps présent, inspirées des saisons et des événements minuscules. Elles serviraient de trame et sauraient stimuler l’intérêt du lecteur.
Cette dernière hypothèse pourrait être la bonne.
4
Un fragment m’obsède : « Ils s’étaient connus à taille des fruitiers, s’étaient retrouvés pour la moisson, avaient annoncé leur liaison. L’hiver suivant. Il venait de loin pour la voir. Elle devait lui écrire pour le lui dire, il était temps. Elle tardait à le faire. »
Un fragment né de rien. Déjà présentes les notions d’avant et d’après. Le roman aurait donc deux cœurs, l’un pulsant au passé avec la femme qui attend la naissance de Simon sans le dire à personne, l’autre au présent avec la femme écrivain qui s’affronte à une vie nouvelle.
Et si Jude, père de Simon, s’emparait de la fonction de narrateur ? Il serait alors plus facile de mettre en place une chronologie, d’installer des repères, oui mais alors comment conserver la belle alternance du je et du il, ce que fait le passé simple dans le texte, les notes du journal qui rafraîchissent l’ensemble et bien d’autres choses encore ?
Non décidément rien ne peut être calculé ni réfléchi ni supposé. Laisser belle place à l’instinct et à la poésie qui tournent les choses à leur avantage, à la langue qui s’élève et fabrique une voix, des voix. De toute façon la langue fait en nous ce qu’elle veut d’où qu’elle vienne.
En fait l’écriture du livre n’a pas encore commencé…
vraiment contente d'en arriver à la #40 écrite pour le jeu et le sentiment d'achèvement
cette #40, je la vois comme des points de suspension à ce marathon passionnant émaillé de surprises et de rebondissements, soutenu en échanges magnifiques avec les autres
j'ignore encore le tour que ça prendra, un roman est en gestation dans les interstices depuis l'an dernier, certaines matières encore irrévélées... mais c'est là où le vrai travail commence... et il n'y a pas de solution miracle, c'est un endroit très difficile du travail d'écriture, ce moment où les fragments gisent éparpillés... et on pourra toujours en parler, échanger, gratter la terre autour, chacun n'aura que la solution de mettre en branle son propre feu intérieur pour en faire jaillir un livre...
(je radote sans doute – il me semble avoir déjà évoqué ce film -magnifique – peut-être chez Helena – « l’aventure de madame muir »)(Joseph Mankiewicz 47) – « hey Jude » aussi enfin des évocations – j’ai eu du mal à suivre mais ça ne fait rien (et aussi « les mots la morts les sorts » Jeanne Favret-Saada qui ne résout ni ne juge mais informe et éclaire (un peu) – enfin bonne suite Françoise… :°))
salut cher Piero, petit bonheur de te retrouver sur ce dernier post
merci pour tes références posées sur ce que tu peux percevoir de sens
à suivre tout ça….
c’est si beau, par exemple : « de toute façon la langue fait en nous ce qu’elle veut d’où qu’elle vienne. »
et cette écriture qui n’a « pas encore commencé » alors que ! merci Françoise pour ces chemins
oui il que même les réflexions soient écrites et belles et qu’elles se décrivent elles aussi dans le même univers…
alors toujours mille chemins qui s’ouvrent et on n’a pas assez de jours…
et toujours ta superbe douceur que j’adore, chère Gracia…
Bien lu la totalité du texte, avec ces trois premiers chapitres semblant achevés (en tous cas pour le lecteur!) avec un montage très fluide. Je n’ai pas lâché la lecture, et j’espère que tu exploreras les multiples pistes promises (?) dans le dernier chapitre! Très belle écriture, beaucoup de passages que l’on voudrait garder en mémoire… Merci beaucoup Françoise pour le partage de ce parcours d’été 2024
merci Valérie, merci
mais tout va être bouleversé, tout cela n’est que lacunaire, il faut que j’y bosse dès que possible mais d’autres choses à terminer avant… ça viendra
merci à toi pour ce partage si précieux
. Je ne suis pas allée lire ton pdf ni aucun autre, besoin de temps et de distance . En te lisant au fil des jours je sentais venir ce que tu décris si bien en 40 ce roman en puissance. « De toute façon la langue fait en nous ce qu’elle veut d’où qu’elle vienne. » je fais confiance à la tienne pour te surprendre. Merci.
le PDF livré dans la hâte il y a déjà deux semaines ne correspond à pas grand chose, franchement à ne pas lire (il faut que je demande à François qu’on le retire…)
un texte en gestation depuis un long moment
merci Nat d’avoir perçu tout cela… il va falloir que je me retrousse les manches et que j’y travaille !!
à te lire toujours…