#anthologie #39 | Noir, Nuits


Le noir dans Belfast, ignorant qu’il s’y déroulait une guerre et déroutés par la vision d’un char, récupérés par des militants nerveux, nous emmenant dans un appartement de tracts d’affiches roulées de taiseux de sacs de couchage et d’armes à feu. Le noir de Dublin, largués par une voiture sur une colline surplombant la ville, laquelle étale sa brume et sa pollution dans des éclairages orange sombre, franchissant un pont sur un boulevard de faubourg, assaillis par une bande d’enfants mendiant en guenilles, récupérés dans un pub par des musiciens vivant en campagne, dans une maison ouverte à toutes choses et à tous vents. Le noir de cette maison en construction sur la dalle de laquelle nous dormons chacun à tour de rôle, à cause d’un rôdeur nous suivant depuis des kilomètres, croisé sur les routes et dans les villes tout le long de cette côte déchiquetée, et voulant acheter la fille. Le noir dans les bois, à se cogner dans les branches, parce que dans les rassemblements c’est plus sûr de s’éloigner la nuit, d’ailleurs il est conseillé par haut-parleur aux femmes de ne ne pas rester seules, découvrir au matin les creux de racines qui nous ont accueillis et meurtris. Le noir dans des lits de parents éloignés, à montant de bois de chêne et édredons lourds, couleurs framboise passée, sous un crucifix qui vous regarde entre deux branches de buis. Noir dans un lit de flic, derrière le commissariat de Vendôme, invités par le fils à une petite soirée, ses parents absents, rentrés dans l’enceinte en escaladant un grillage, chute et poignet cassé, souffrance toute la nuit dans le haut lit du flic. Nuit d’hiver sans adresse, frappé à un local de militants chrétiens non-violents à Orléans, dormi avec une bouteille de rhum blanc. Noir à Éguilles, largués sur une bretelle d’autoroute dans les effluves de thym et de sarriette, plein hiver, pénétré dans une maison vidée, dormi sur le carrelage, au matin le garçon ouvre un placard où il reste les cueillettes à tisanes de sa mère. Nuit d’hiver calme, porte de la chambre ouverte pour profiter de la chaleur du poêle, soudain un fracas sur le toit, bruit de tuiles déplacées, pas lourds au grenier, debout derrière la fenêtre sans respirer, pieds nus dans le froid à attendre une agression inévitable, aller de fenêtre en fenêtre sans respirer, mais tous les volets sont fermés, rien à voir dehors, la maison- prison , peur de téléphoner ce qui signalerait une présence, le temps d’un quart d’heure, d’une demie-heure, toujours pas d’agresseur.

A propos de Valérie Mondamert

J'anime des ateliers d'écriture dans les Alpes de Haute-Provence depuis dix huit ans, (DU d'animateur en atelier d'écriture en 2006, à Marseille), je suis prof de musique et je mêle avec joie les deux fonctions. J'ai publié des récits.

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