Ça commence par de vastes éboulis dans une vallée non répertoriée sur les cartes, je ne sais pas trop dans quel pays ça se trouve, d’ailleurs ça n’a pas d’importance. La lune est en son plein. Les choses du monde se perçoivent dans une lumière ténébreuse et nacrée. Je note la présence de l’eau qui attrape la lune dans ses reflets, eau qui coule vers une rivière qui coule elle-même vers une plus grande rivière et finit par rejoindre un fleuve immense tout pareil à une mer. Je ne connais guère que sa direction grâce aux pentes identifiées dans le paysage. Le plateau semble s’incliner progressivement vers le nord-ouest, vers des zones de plaines arides qui se prolongent par des marécages et des lagunes, là où se jette le tumulte du fleuve, là où commence une mer remuée de vagues. Mais c’est encore très loin d’ici.
D’autres eaux se signalent dans les lueurs nocturnes, celles de petits lacs nichés dans les creux où viennent s’abreuver les animaux libres. Ces nuits-là ils ne dorment pas à cause de cette lumière sacrée qui rend fou et entraîne les créatures à errer sous le couvert des arbres. Ces petits lacs portent certainement des noms. Vasques, coupelles, auges, cuvettes, dépressions, bassins aux contours arrondis, je les invente et les nomme, m’inspirant de mots relevés sur les cartes. Lac de la Brousse, de Villejague, Les Chabannes, Charensac, lac du Buis, étang de Sagnat, étang de Maubrant. Les étendues d’eau appartiennent à des châteaux, parfois à des domaines de chasse et de pêche, parfois à des communes dont elles portent le nom ou une partie du nom. Elles sont riches en poisson et sont équipées de pontons modestes où sont amarrées quelques barques en bois. Beaucoup d’oiseaux dans les parages — j’ai commencé à les repérer et les répertorier par familles mais il me faudra encore passer bien des heures aux jumelles depuis la plateforme du petit observatoire avant d’en livrer la liste.
Le reste de l’eau s’infiltre depuis la surface à travers des horizons de roche fracturée pour alimenter les eaux souterraines. Ici pas de nappes, eaux échappées au ruissellement rapide retenues par les sables. Je les sais tout près de la surface, les imagine assoupies au frais du granite.
Les eaux souterraines n’ont pas de nom, demeurent secrètes et indéfinies.
Quant aux sources, elles jaillissent mystérieusement en bord de pré ou en pied de colline. Les contes traditionnels leur confèrent un réel pouvoir magique et poétique. Fontaines, lavoirs, abreuvoirs canalisés ou non. Fontaines de l’œil, de Beauséjour, de la Rebeyrolle. Sources du Hérisson, de la Chaize, de Petit Neyrat. Souvent j’entends celle de la combe derrière les châtaigniers. Elle s’écoule entre les saules et les prêles. C’est là que la charrette avait versé depuis le coteau quand Simon était tout petit et, à ce qu’il paraît, il avait fallu trois chevaux et tous les hommes du hameau pour la sortir de là.
« Je note la présence de l’eau qui attrape la lune dans ses reflets, eau qui coule vers une rivière qui coule elle-même vers une plus grande rivière et finit par rejoindre un fleuve immense tout pareil à une mer. »
et « Ces nuits-là ils ne dorment pas à cause de cette lumière sacrée qui rend fou et entraîne les créatures à errer sous le couvert des arbres. »
Que dire… Toujours évidemment ces phrases relevées plus haut qui vous percutent en plein visage. C’est beau. C’est DIT. Et puis forcément le titre qui attire. Ces eaux secrètes qui résonnent avec mes histoires d’eau à moi. Et se dire qu’à te lire je nourris aussi ma propre écriture… Et la chute de ton texte, cette histoire de charrette avec Simon la puissance de cette histoire en souterrain, de ces sources qui traversent tous tes textes comme des histoires enfouies qu’on voudrait tellement lire… Impressionnant et inspirant. Merci encore pour ça chère Françoise (moins présent depuis quelques jours car obligations familiales se sont intensifiées et j’avance sur un fil d’épuisement mais on continue)
mais oui, nos histoires d’eau bien sûr qui reviennent sans cesse, qui ne nous quitte jamais… nourrissons nous les uns des autres !
merci Camille d’être passé en dépit de ton temps compté
je ne savais pas trop quoi faire et je suis repartie sur cette histoire d’eau qui reflète la clarté de la lune et j’ai laissé glisser sans trop me préoccuper de l’histoire d’accumulations tout en jouant le jeu quand même… écrit donc vite ce matin et posté avant que je ne me pose trop de questions
en tout cas ça avance dans le même fil
(allez, je vais quand même essayer de terminer…)
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Quel beau texte Françoise, l’eau qui attrape la lune, l’eau qui coule, l’eau qui jaillit… c’est magnifique !
merci de ta présence et de tes retours fidèles, Françoise, le temps nous manque mais on se reconnaît bien dans le champ de nos histoires
merci fort pour ton passage
« je les invente et les nomme » c’est dire le pouvoir que nous donne l’écriture d’inventer et de nommer et j’aimerais la liste s’allonger et l’inventaire s’étoffer et je pense à Novarina qui fait un livre de tous ces noms de cours d’eau. A écrire les eaux secrètes Françoise tu ajoutes encore du courant. Merci !
l’écriture pourrait se situer entre l’invention d’un monde et la description du réel de ce monde…
on tisse, on crée, on nomme, on invente personnages et événements, on « expanse », on s’épanche !
cette histoire de cours d’eau pourrait être à elle seule un projet…
merci Cécile de ton précieux retour
Ah quand même je me demandais où tu étais passée 😉 Merci pour toutes ces eaux et ces mots qui nous entraînent dans les flots et ta nature.
coucou amie Clarence, oui oui je suis encore là mais avec un temps de retard… suis à bout de souffle en fin de marathon et occupations d’août, mais je vais finir !
encore la #20…
et je reviens vers la lecture des autres dès que possible
tellement merci de ne pas me lâcher !! ah ah… on les tient nos #40 !