C’était un massacre. La radio présentait la même information à coup « d’envoyé sur place », « émission exceptionnelle », « journée de deuil national ». On avait osé, ils avaient osé, attenter à la vie de journalistes, journal satirique, il est vrai qui était sous protection policière mais cela n’avait pas empêché l’attentat et les morts. Tu as vu ? Ils ont tué Cabu. Oui, j’avais entendu et tout de suite m’était apparue l’image de Cabu et du club Dorothée. D’ailleurs, on pouvait se demander ce qu’il était allé faire dans cette « émission » qui lui avait sans doute servi de tremplin comme on dit. Le poulet était en train de dorer dans le four avec les pommes de terre. Les enfants avaient faim et il fallait les emmener de droite et de gauche à leurs différentes activités ensuite. Ca sentait bon les herbes de Provence qui venaient du Maghreb et l’huile d’olive. A midi, j’ai mis « les infos » qui déversaient des hypothèses à foison, faisait les comptes des morts, citait les noms. « C’est quoi un journal satirique ? ». Un journal qui se moque des gens et dénonce ce qu’il trouve injuste, faisons simple. Mais ce n’est pas bien de se moquer. Ah oui, le Bien et le Mal, il avait été évoqué pour justifier les meurtres aussi. Ce n’est pas bien peut-être si c’est méchant mais si c’est pour dénoncer, critiquer quelque chose qui n’est pas bien ça peut être bien. Imbroglio de bien et de mal entre deux morceaux de pomme de terre cuites au four et qui ruisselaient de douceur. Des rassemblements commençaient à se mettre en place pour protester contre le « règne de la terreur ». « ça va servir à quoi que des gens se rassemblent ? ». A dire qu’ils ne sont pas d’accord et qu’ils veulent que la presse reste libre. Tu n’as pas précisé que la liberté de la presse pouvait aussi se mesurer à l’absence de publicités, ce qu’était effectivement ce journal satirique comme l’autre volatile. Restons simple. Le crumble croustillait sous la dent et apportait un léger goût d’embrun, la farine de sarrasin donnait toujours un petit goût breton. C’est alors que le symbole du crayon a commencé à poindre au fur et à mesure que s’avançait la journée. Des rassemblements spontanés se mettaient en place avec des crayons levés. Les trajets en voiture vers les sports respectifs étaient rythmés par les flashs spéciaux de la radio. Les « spécialistes » se relayaient, glosaient, s’apostrophaient. Tu avais coupé les légumes et tu es avais fait revenir « Ah, encore de la soupe, ça tient pas au corps, j’ai encore faim avec ça », et bien il fallait compléter pas des pâtes ou du riz. Il restait du crumble, ils pourraient le terminer, à eux de voir. Tu as pris ta voiture vers la ville la plus proche, crayon dans la poche.