Des chemises d’homme pendent sur un balcon aux volets bleus bord de mer ouverts, d’habitude toujours fermés le matin. Les gens dans la rue sont déformés, le vendeur de meubles avec sa tête en avant, le menuisier pourtant jeune courbé en deux avec une bosse, une vieille dame aux pieds se terminant en triangle boite de la hanche droite en appuyant son surpoids sur une canne, et moi qui me plains de ma hanche mais vu de l’extérieur le corps n’est pas encore cassé, c’est seulement à l’intérieur. Je sais bien que je marche penchée en avant fesses en arrière et je revois dans cette silhouette celle de ma grand-mère. Elle avait toujours envie de faire pipi et se soulageait entre les voitures garées, je crois que ça me prend aussi. Un homme surpris par mon surgissement face à lui dans une ruelle cesse de jouer avec sa canne, mais je l’ai vu : il s’exerçait à la faire tourner comme font les majorettes. À 9h30 j’attends que s’ouvre le dépôt de colis, il y a du retard. Une femme repart à 9h31, un gars arrive sur un quad pétaradant comme une réunion de motards à la Bastille, il descend, du gras dépasse de son pull à droite à gauche et devant, il repart. Nous sommes trois à attendre patiemment, l’un attend des livres d’occasion, l’autre une box pour une association, le troisième une tablette. Nous convenons que seul celui de la box a légitimement du stress si le dépôt n’ouvre pas. Nous parlons de quad : non ce n’est débridé pour le bruit, c’est fait exprès pour exister plus fort. Ah bon.
Une fillette tourne dans la cour vide sur son petit vélo sans pédales. Papa regarde ! Le Papa regarde, depuis le banc gravé de noms et de cœurs où il prend du temps, leur chien à ses pieds, un vieux Labrador femelle noir. Il y a quelques crottes dans la cour qu’il fera ramasser dans quelques jours avant la rentrée des élèves. Le soleil est doux, le ciel bleu vif sans aucune trace de nuage, la sève des platanes remonte , le débourrement a commencé, déjà les bourgeons sont gonflés.
Poutine a déplacé des troupes aux frontières de l’Ukraine en Russie, Biélorussie et dans les territoires qu’il occupe depuis 2014 , à savoir la Crimée et les républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Lougansk.
L’événement du jour dans la Provence, c’est la venue proche de Macron à Marseille, pour son meeting du 5 mars, où l’on attend qu’il annonce sa candidature aux présidentielles. MACRON CHOISIT ENCORE MARSEILLE peut-on lire à la une. Aussitôt l’on pense à Mélenchon qui a sa députation à Marseille, et fait ses vidéos depuis une maison du vieux port devant se trouver tout près de la mairie, tandis que Macron a l’habitude d’utiliser des jardins du palais du Pharo, construit par Louis-Napoléon Bonaparte pour lui-même et ses descendants. La présence de Macron si près interpelle le Principal de ce collège, car il s’ y est manifesté deux fois en peu de temps, ce qui est inespéré pour sa carrière : pour parler en visioconférence avec des élèves de troisième lors d’un cours d’histoire, pour discuter en présentiel avec eux lors du grand débat ayant eu lieu dans une ville proche. Cette deuxième affaire fut menée en grand secret, à l’insu de presque tous les enseignants, dont la colère fut très grande, tant d’avoir été tenus à l’écart que du système de ce grand débat. Parents et enfants élus furent heureux, on est toujours heureux d’être élu par les grands.
Les Français ne croient pas que la Russie peut envahir l’Ukraine, cela ne se fait plus en Europe depuis deux générations. Les Américains affirment que la Russie prépare une invasion.
La petite fille va de plus en plus vite sur son vélo vert. Elle invective la chienne qui fait semblant de dormir. Il faudra bientôt mettre les pédales. Le papa lui lance un ballon bleu pour qu’elle lâche la chienne. Elle court après le ballon et le papa shoote, pas trop fort, vers le fond de la cour. Il entreprend de faire des buts avec des branches tombées mais la petite est remontée sur son vélo et circule en faisant des bruits de bouche, alternés avec des Papa regarde !
À 5h30 Poutine a annoncé une opération militaire spéciale en Ukraine.
Le papa balaye du regard les autres titres :
A BAKOU L’OM N’A PAS DROIT À L’ ERREUR
LE CANAL DE LA BRILLANNE ATTAQUE LA DLVA
Là c’est grave mais le Principal n’est que de passage, il circule de poste en poste à la recherche du toujours meilleur, c’est le principe d’un Principal. Comment pourrait-il s’y intéresser ? L’intercommunalité Durance Luberon Verdon Agglomération a dévié le canal mais les travaux sont mal faits : il y a risque d’une rupture des berges et donc d’une rupture de l’approvisionnement en eau. Le propriétaire du canal, Jean-Guillaume d ‘Herbes, attaque en justice. À qui appartiennent vraiment le terrain, l’eau, le canal ?? À qui appartiennent vraiment les terrains, l’eau et les canaux ??
Les chars russes envahissent l’Ukraine par quatre fronts.
QUEL AVENIR POUR LA LAVANDE ?
Sous le mot lavande il y a des paysages, des odeurs de produit à WC, à linge, à vaporisateur d’ambiance, comme de parfums anciens, de parfums luxueux de Guerlain Lancôme Yves Saint Laurent. La lavande marque notre quotidien par le choix, ou le non choix, qu’on fait d’elle, dans toutes les classes sociales. Mais voilà : c’est la crise de la lavande . On cultive de la mauvaise lavande en Beauce, en Bulgarie, en Turquie, en Grèce, en Chine, que l’on vend moitié moins cher. « L’âme de la Provence », comme disait Giono, ne se vend plus. Il y a de toutes façons une baisse de l’âme en général, tout le monde en convient. Les Chinois pourtant viennent encore chercher cette âme, par centaines en car sur le plateau de Valensole chaque mois de juillet, les paysans du plateau d’Albion ne veulent pas de pesticides mais le décret va passer, pendant le covid on a pas nettoyé les bureaux, les produits ne se sont pas écoulés.
Le papa se repose, lit et joue avec sa fille.
Les premiers soldats meurent, les premières mères ne savent pas.
Des troupes russes débarquent à Marioupol et Odessa. Des missiles de croisière et balistiques sont lancés sur des aérodromes, des quartiers généraux militaires et des dépôts militaires à Kiev, Kharkiv et Dnipro.
LE PRÉSIDENT DE LA SPA MONTRE LES CROCS
Il replie son journal. Un mistral naissant siffle dans les branches nues des platanes. Les personnages de passage quittent la cour. Il est midi, les bourgeons gonflent encore. En Chine c’est la nouvelle année, l’année du tigre.
Lavant les feuilles de blettes, les poireaux et l’oseille pour préparer une soupe verte. Grandes quantités il faut que ça dure plusieurs jours. Portant l’eau de la bassine au jardin, la versant sur les choux, puis revenant couper en grands morceaux les feuilles au-dessus de la grande gamelle. Une cuisine pénible car envie de lire, de réfléchir sur le capital : oui la machine a été faite pour soulager l’homme de son travail, mais finalement il a fallut rentabiliser cette machine, l’ouvrier d’usine a travaillé nuit et jour en faisant les trois-huit, les propriétaires des moyens de production se sont enrichis. Un bruit mat. Encore une tourterelle venue sous la mangeoire des passereaux qui s’est fracassée sur la vitre. Ça me peine, ces tourterelles, mais il faut bien nettoyer les carreaux. En fin de vacances les carreaux sont propres, plaisir des travaux domestiques à jour. Alors que cuisiner, il faut toujours recommencer. Combien de patates un cuisinier de famille a-t-il épluché dans sa vie ? Que penserait Marx de la machine informatique ? Inventée pour soulager l’homme ? Du moins c’est ainsi qu’on nous l’a présentée. Mais il a fallut en utiliser (rentabiliser?) les possibilités donc le travail à fournir a augmenté, considérablement. Nous sommes harassés par l’ informatique. Ça m’énerve ces poireaux à couper, ils sont trop verts, il y aura des fils. La tourterelle a laissé la trace de son corps et de ses ailes grandes ouvertes sur la vitre, on dirait un Magritte. Le numérique a engendré des capitalistes encore plus riches que les vieux industriels. Un désastre pour la terre et les hommes. Par ricochet.
La Russie a envahi l’Ukraine. L’offensive est massive : aérienne, maritime et terrestre.
c’est terrible comment les infos vont et viennent par vagues certaines plus insidieuses que d’autres et ce qu’il en reste finalement l’une chassant l’autre c’est terrible
…. des contrastes saisissants, des allers et retours d’un point à l’autre de la rue et de la terre… merci pour cette vision d’une » baisse de l »âme » et de l’intrusion de la machine…
Merci de votre lecture et de votre retour, d’autant plus que les textes s’allongent!