Il suffirait de chercher un accès. Il suffirait de s’engager dans un sentier court, de bord de route à bord de rive. Un sentier sableux. Il suffirait d’arrêter la voiture. De sortir du trajet. Mais sortir on ne peut pas.
On est pris dans le mouvement, dans l’heure, dans ce qui reste à faire de ce jour et chaque jour dans ce qui reste à faire dans ce jour. Ralentir on ne peut pas. Des années qu’on traverse la Durance et qu’on se dit Ah ! Je voudrais des galets ! Dans ce qui tient à cœur en traversant les années, durant les centaines de traversées de ce pont, il y a ces galets.
Ramener des galets. Pour rien. Le rien qui tient à cœur et qu’on néglige, car personne ne nous a dit si ça comptait ou pas, le rien repoussé saison après saison.
Ce rien pour une image de zen au jardin, des galets empilés en signe de paix, en signe d’accord avec le monde et surtout de pause pour regarder ce monde, à moins que le besoin de galet ne soit satisfaction d’une forme polie par les siècles adaptée à la paume, du poids de la pierre comme illusion de valeur pérenne, plus elle pèse et plus elle rassure. Comme une maison en pierre. Comme la maison du troisième petit cochon, qui est en briques, mais les briques pour les cochons c’est comme les pierre pour nous. C’est la distance à la fange. C’est le toit dans la forêt noire. Un quelque chose de très sûr, qui donc ne meurt pas, n’est pas soufflé par les loups , ne s’enflamme pas.
Un jour on lui a offert des galets qu’elle a religieusement disposés en cercle autour de l’olivier. Elle a pris le temps d’équilibrer les formes, rondes, ovales, plates, bombées, car la rivière depuis ses débuts de torrent, dans les Hautes Alpes un torrent se fracassant dans l’écume et bordé d’arbres à papillons, la rivière n’a cessé d’inventer de la forme, de jouer à rouler ses cailloux dans les courants, jusqu’à les échouer là, en accumulations, entre deux bandes d’eau courante, bien après les barrages.
Mais ce qu’elle voudrait c’est aller ramasser le galet, marcher lentement sur le chemin sableux, son pas étouffé devenant un pas de rivière, dans les peupliers de rives l’agitation du vent et le clignotement de lumière, le miroitement des eaux continuant à glisser, à polir, à transporter, à briller, refléter, étinceler. Elle s’arrêterait et lèverait ses yeux gris en regardant le pont où tout-à-l’heure elle passait, dans le temps du continuo, dans le temps du trajet, elle ferait quelques pas hésitants sur les galets entassés, blancs, gris, noirs, veinés, striés, unis, pâles, en compagnie de leurs vieux bois flottés et de plantes sèches inconnues , elle s’accroupirait pour regarder un ru s’immiscer entre les pierres y cherchant son chemin, elle cherchant une vie, un têtard, une algue, elle serait éblouie par la lumière, vaguement occupée des bruits de circulation là-haut, détachée d’avant et d’après, cherchant son galet, finalement s’assiérait sur ce lit de pierre, et resterait longtemps, jusqu’au coup de vent du soir, habitant la rivière.
Magnifique cette histoire de galet « pour rien » : « Le rien qui tient à cœur et qu’on néglige » et puis cette chute « habitant la rivière ». Un morceau de livre à coup sûr qu’il faut poursuivre ou amplifier parce que ça tient drôlement bien comme on dit ! A vous lire avec intérêt après les 40 jours. Merci Valérie !
Merci Camille. Ces retours apportent un regard qu’on ne peut avoir soi-même. C’est précieux.