#anthologie #35 | vers la fin

Il est assis dans la voiture, côté conducteur. A sa droite, la femme, les yeux mi-clos. Ils regardent la route en avant. Paysage de collines du Petit Luberon. Un canal longe la route sur la gauche. Un chemin suit le cours du canal.

Voix off. Ils seraient sur le chemin du retour. Ils ne se préoccuperaient pas du lendemain. Le jour décline. Ils ne se parleraient pas de peur d’abîmer les mots.

Elle est assise en tailleur à ses côtés. Ses chaussures sont négligemment posées au sol. L’une est à l’envers, talon élimé vers le haut. Lui a des chaussures de ville, en cuir noir et un jean noir aussi. Sa jupe lui arrive à mi-cuisse. On ne les voit qu’à moitié. Leur visage est coupé.

Voix off. Elle baisserait la vitre électrique de la vitre et pencherait son visage à la fenêtre comme quand elle était enfant. Il la regarderait faire en tournant légèrement la tête vers elle et esquisserait un sourire. Il poserait délicatement sa main droite sur sa cuisse gauche et elle fermerait les yeux, toujours la tête en dehors de l’habitacle.

De son côté à elle, on voit des champs à perte de vue. C’est la plaine. De temps en temps, apparait une pépinière aux pancartes attrayantes promettant des oliviers, des lauriers roses

La lumière déclinante donne un ton rosé au paysage. La ligne de chemin de fer suit plus au moins la route. On devine qu’elle n’est plus guère utilisée. Seul le fret s’y risque encore de loin en loin.

Voix off. A cette heure décalée de sortie de travail, les voitures croisées dans l’autre sens se feraient rares. Ils croiseraient sans doute quelques camions qui rejoindraient le M.I.N. de Cavaillon. Eux iraient dans le sens inverse des marchandises.

On ne voit maintenant que leur visage. Celui de l’homme est tendu sur la route. Celui de la femme, maintenant à l’intérieur de l’habitacle est tourné vers celui de l’homme.

Voix off. Elle le regarderait sans attendre rien en retour. Il sentirait son regard mais déciderait de ne pas répondre. Tous les deux sauraient garder le silence. Le moteur de la voiture ferait une sorte de bruit de fond qui les bercerait. Ils savent qu’ils vivent leurs derniers moments.

. Des panneaux indicateurs à un rond-point indiquent Lauris et Mérindol. L’homme rétrograde et la voiture poursuit sa route à la deuxième sortie. Il la regarde. Elle ne lui rend pas son regard.

Voix off. Ils auraient compris que ce serait la fin de leur voyage. Il regarderait dans le rétroviseur central et mettrait le clignotant à droite. Elle se tairait et prendrait son sac sur la banquette arrière. Elle remettrait ses chaussures à ses pieds.

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