#anthologie #34 | adjugé

Tony est le crieur. Tony est le meilleur. Une gousse d’ail de Jeannette Leroy morte en 2020, estimée cinq-dix euros, adjugée quatre cents euros. Autre mine de plomb de Jeannette Leroy, des torchons. Faut aller plus vite, ça fait deux fois, sinon il faut venir en salle. Adjugé.

Paquet express, trois cent vingt, cinquante, quatre-vingt, quatre cent. Merci monsieur, quatre-vingts, six cents. Estimé vingt, quarante euros, adjugé après trois fois six cent vingt. Même personne. Feuille de salade. Quatre-vingts. La main froissant un papier. La corbeille de fruits. Monsieur ? Le monsieur assis appuyé sur un parapluie demande à sa femme si elle en veut avant de répondre. Un homme en imper enchérit de la main droite. Il faut éteindre le haut-parleur du téléphone. On est à quel numéro ? Le militaire arrive, c’était lui dans le haut-parleur du téléphone, il vient discuter avec l’homme disputé. Il lui parle d’une échelle de grenier plus belle que ça. Tony demande au militaire de sortir discuter dehors. Désolé on entend que toi. Ils ne partent pas. Adjugé.

Tous les trois je peux vous dire c’est balèze et en plus vous avez pas mis d’enchères, Tony s’agace. Est-ce que quelqu’un couvre l’enchère de deux cents ? Deux cents c’est bien vu ? Une fois, deux fois, trois fois, j’adjuge. L’artiste n’est pas mort ? S’il n’est pas mort ? Il a envoyé un message à Tony pour le prévenir que son œuvre était signée et que d’ailleurs il signait toutes ses œuvres. C’est pas un accoudoir monsieur, c’est un petit meuble. La cuche de Kvapil entre, toujours avec son sourire, moitié illuminé, moitié perché, moitié folie. La cuche c’est parce qu’il porte une queue de cheval, Kvapil c’est parce qu’il a acheté pour quelqu’un d’autre une toile du belge Kvapil pour cinquante-trois mille euros, record mondial pour cet artiste. Soixante-dix oui, c’est à vous. Adjugé. Elle veut garder, elle garde. Elle est allemande. Do you want it ? Remarqué un vieil homme en costard, quatre-vingts ans, cheveux ras, baskets bleu marine, casquette à l’envers avec le drapeau britannique. On ne vend plus à présent que des médailles et des insignes. Vous vendez que des BCCP. Oui. Chasseurs alpins. Vous avez le mannequin. Quelques accessoires d’origine dessus. Deux casques modèle 1914, acier, reliques du champ de bataille. Ça mérite mieux. Quarante euros. C’est très sympa. Si, c’est un souvenir. Belle cartouchière d’allègement. Souvenirs de la première guerre, des boutons. C’est sympa ça. Retiré faute d’enchères. Celui qui rachète est habillé en couleurs militaires. Manette avec masques à gaz de la Défense passive. Un magasinier qui n’est pas en tenue, habillé de près, collé, muscles taillés, fluet, passe en récupérant les tickets. Il a des écouteurs dans les oreilles. Sans fil. On conseille à un magasinier de poser les manettes au sol. Une tire-lire zouave en céramique. C’est un lot pour Baba ça. Ben oui, mais il est parti. Il part toujours au mauvais moment. Baba est en effet parti, en touchant l’épaule d’un connaisseur assis, au dernier rang dans l’allée. Adjugé.

Lampe à poser. Socle gravé d’un aigle enserrant une croix gammée, gravé Berlin 1936 pour les JO. Retiré faute d’enchères. Personne ne veut de croix gammée. À qui a appartenu ce casque Adrian modèle 1926 peint en kaki. Cinq casques, un Jeanne d’Arc tout de même ! Étui pour PA35, pas courant pour l’époque. Lot tabacologie. Fumer tue. Monsieur essaie d’arrêter. Y’a de quoi remonter un mannequin complet. Adjugé.

Deux étuis de masque à gaz M 1938. L’homme qui achète étend sa jambe engourdie, reste sans doute, de sa blessure de guerre.