#anthologie #33 | Salle treize

Salle treize sans lumière sinon celle artificielle des rectangles de verres, sinon celle sombre des tapis graves et des corps penchés. Une voix chargée, une voix légère, clé dans la serrure, objets précieux, ouverture de la vitrine, le temps s’ouvre, âge de la vitrine, âge de l’objet, mains habiles déshabillent le voile de protection, offrent à nu à l’autre, paume sur la couleur et la texture, transfert des peaux, des pores, transfert de l’histoire de l’un vers l’histoire de l’autre, premier contact passionné ou déçu ou les deux, poussière. Glissement des pas au sol, visages proches des choses, yeux plissés en experts, soupirs et contentements, feuilletage fébrile du catalogue exhaustif aux descriptions simples : huile sur bois, huile sur toile d’après, école française, hongroise, italienne, rare cartel, potiches époque, vase en cloisonné, table marquetée Louis XV on signale des manques, armoire chêne, descriptions succinctes, loin du temps aller vite, quatre heures pour tout vendre, vendre toute la vie de celui qui a tout acheté, revendre ce qui lui a appartenu momentanément, collection chérie, ameublement obligé d’un espace vide qu’il n’a pas pu laisser vide, ardeur de l’achat et du plein, bousculer les choses pour être conscrit et ne pas se perdre chez soi dans un espace trop vide, le vide aspirant, provocateur, le vide vampire d’une faille béante qui s’élargit si dessus il n’y a pas l’armoire chêne, les potiches épaisses, l’imposant bureau marqueté aux tiroirs pleins de lettres blanches à en-têtes, enveloppes blanches vides d’adresses à qui poster. Salle treize d’une file à l’affût, d’une chaine qui se suit, quelques minutes suffisent, arythmie des pas concernés, je veux je veux pas, en guise de correspondance des rires des habitudes, chez eux bientôt, cette chose convoitée acquise, admirée pour longtemps, beauté au-dessus de la faille.

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