« Avec plaisir » dit-il en posant la tasse de café sur la table. Oui, il est question de plaisir, c’est vrai mais tout le plaisir est pour moi je crois car c’est moi qui me fais servir sur cette terrasse à l’ombre du platane alors que toi tu trottes de la place au café qui se trouve de l’autre côté de la rue en plain cagnard. Oui, c’est vrai, je crois que j’y prends du plaisir à être là, à ne rien faire si ce n’est regarder les gens passer et l’été s’installer confortablement. Plaisir d’étaler mes jambes sous la table, d’étirer mes doigts de pied et de humer les aiguilles de l’horloge de la tour au-dessus de ma tête.
Avec plaisir, tu as certainement pris ce job d’été pour te payer un peu tes études. Ce n’est pas cher payé mais il y a les pourboires ont dit les patrons. Tu as fait quelques calculs adéquats, purement chimériques mais le plaisir vient aussi de ce qu’on peut imaginer.
Avec plaisir un enfant court après un pigeon pour mieux le voir s’envoler. Avec plaisir le volatile s’était posé sur la place où il sait qu’il pourra toujours trouver des miettes que les clients ont laissé tomber ou lui lanceront.
C’est avec étonnement que tu as vu les drapeaux tricolores pousser dans cette ville plutôt neutre habituellement. Les cafés ont sorti le grand jeu : écran géant, enfin plutôt moyen, pizzas qui affichent les trois couleurs partout sur leur devanture avec le conseil de prudence qui s’impose pour les amateurs : « Pensez à réserver vos pizzas la veille », les pizzaiolos sont sur les starting blocks. Tu as vu toujours avec étonnement que les drapeaux avaient les facultés de s’adapter à tous les terrains : fenêtres, terrasses, balcons, vitrines, rond-point. C’est une invasion, à croire que chaque maison tient caché sous son lit un drapeau pour le sortir à l’occasion et là, c’était l’occasion. Finale, demi- finale, quart de finale, tu ne sais plus trop où ils en sont mais sans doute proches du but ultime, une coupe du monde ou d’Europe, là aussi, tu ne sais pas trop. Le serveur va pouvoir en dire des « avec plaisir » demain, le jour du match. Même toi, tu en es informée, tout tourne autour de l’événement : la radio que tu écoutes et qui pourtant n’est pas pro football l’a rappelé ce matin, c’est un événement national où chacun côtoie son chacun dans un bel élan de partage. Enfin, c’est ce qu’ils disent. Les unes des journaux sur le trottoir débordent aussi de titres sur la demi -finale, ça y est, tu es en phase, tu sais maintenant de quoi il s’agit. C’est écrit à la porte du bureau de tabac de l’autre côté de la place où tu t’es installée. Des enfants portent aussi fièrement des maillots aux couleurs de l’équipe nationale. Quand tu as regardé les prix sur le net tu as une nouvelle fois été étonnée. Avec plaisir peuvent dire les marchands de T-shirt. J’ai pris le temps de regarder l’agitation marcher à grand pas dans la ville, c’est demain le grand jour. Demain, tu vas dans les gorges du Toulourenc qui s’agitent habituellement mais qui demain se reposeront. La cohue aura changé de place. Et ce sera avec plaisir que tu feras cette rand’eau.