suis bien en retard...
hier presque pas de temps, alors je m'étais dit que j'avais déjà fait l'exercice il y a quelques années, pensant ainsi m'en dédouaner...
et puis je suis allée voir ce que j'avais écrit, une scène majeure, un long monologue d'Edele, l'un des personnages de ce qui allait devenir un roman qui s'appellerait "Bois d'azobé"
ce matin, je suis comme revenue en arrière... cette tentative de réunir des bribes du travail, chantier en gestation...
C’est dans les temps où Simon est né que tout a changé, personne ne s’en est rendu compte, elle non plus sur le moment, elle était comme aveugle, bernée par l’existence du bébé dans ses bras en train de pleurer, oui aveugle, elle a tenté d’avancer au jour le jour, le petit pleurait souvent, après tout rien d’anormal non bien sûr, pourtant la vérité vibrait comme une musique stridente autour d’elle dans la maison partout où elle marchait, où elle s’asseyait, elle faisait semblant de ne pas l’entendre mais la musique la pénétrait et l’usait de l’intérieur et râpait ses forces et sa joie, le petit pleurait, alors elle le prenait contre elle et le berçait jusqu’à ce qu’il s’endorme, quelque chose qu’elle a continué à faire longtemps après, même quand il était devenu plus grand et ne pouvait toujours pas se tenir bien debout sur ses jambes, elle le faisait dans le car quand ils allaient voir le docteur au grand bourg d’à côté, beaucoup l’ont vue dans cet état et en ont témoigné après coup, oui mais sa joie se retirait chaque jour davantage et son corps se repliait à cause de la souffrance, Simon mon tout-petit je vois que ça ne tourne pas rond mais ça va s’arranger, hein que ça va s’arranger ? tu vas grandir toi aussi comme les autres, elle remâchait des mots qui revenaient en boucle, elle en voulait à son père, elle en voulait à ses frères et ses belles-sœurs stupides, aux gens qui regardaient de son côté à l’église le dimanche et qui parlaient derrière leurs mains pour que personne ne les entende, moi je me demandais ce que je faisais là et s’il était vraiment nécessaire de souffrir autant, quelle misère, et j’ai commencé à m’user moi aussi dans la solitude des vergers et des vastes prairies, j’écoutais la musique de l’herbe et les drôles de bruits du pic épeiche qui fait greloter les troncs au point que ça tape fort dans la tête, j’avais tellement cru à l’avènement d’un bonheur éternel quand je l’avais reconnue, elle, dans la blancheur féérique du printemps de notre rencontre et je la voyais à présent dans cette douleur de mère qui ne peut être comparée à aucune autre douleur, comment continuer avec ça ? comment espérer une rémission ? et toutes les images revenaient en masse depuis mon passé, je n’avais plus de souvenirs du pays où j’avais vu le jour et soudain je revoyais les ruelles de mon village et j’entendais des gens qui parlaient dans ma langue, juste après je repensais au visage pétrifié de mon père quand il avait cessé de parler et avait abandonné la partie, j’avais pourtant cru me refaire une existence au fil des voyages à travers les provinces et ma force était grande, j’aurais voulu continuer pour voir mon fils grandir mais la force m’a quitté brusquement, elle m’a abandonné sans prévenir comme si tout de mon sang avait coulé d’un coup de mon corps dans la terre en un flux conséquent, j’avais déjà surpris ce genre de scène en rêve au cours de certaines nuits qui avaient précédé ce jour funeste, comme une ultime transe dans la mort lente, dans la mort encore je dansais hurlais croyais à son incroyable beauté l’emportais avec moi tel un bagage pour mon ultime voyage
merci pour ce codicille (ou chapeau pour le chapeau…)
très très beau texte Françoise. grande émotion (« tu vas grandir toi aussi comme les autres, » par exemple). merci pour ces « vivants »
tous ces vivants drôlement en écho finalement avec ceux que j’ai connus et avec le monde d’où je viens… mais ça n’est pas étonnant…
merci Gracia, tellement…
C’est très beau, merci.
avec beaucoup de joie à partager tout ça…
te remercier Émilie pour ta présence depuis quelques temps…
« j’écoutais la musique de l’herbe et les drôles de bruits du pic épeiche qui fait greloter les troncs au point que ça tape fort dans la tête »… quel magnifique texte, cette phrase, toutes les phrases, et comme le mort revient en douceur et subtilité dans le texte. Merci Françoise
dans cet « exercice », tout est allée très vite une fois que j’ai décidé de le faire, comme si la voix s’élevait toute seule et me parlait directement, je n’ai eu qu’à poser les mots
merci Isabelle pour ta fidélité si précieuse…
« je la voyais à présent dans cette douleur de mère qui ne peut être comparée à aucune autre douleur » et puis juste avant « j’écoutais la musique de l’herbe et les drôles de bruits du pic épeiche qui fait greloter les troncs au point que ça tape fort dans la tête« c’est beau c’est toujours beau. J essaie de me tenir à ma moisson de commentaires au quotidien (pas toujours finalement avec le rythme et la vie à côté pas toujours possible). C’est important de se lire aussi et je finis toujours par toi parce que la facon que tu as d’écrire est formidable. Il y a du Pierre Michon et du Marie-Hélène chez Françoise Renaud (m’en vais aller voir tes livres publiés après tout ça on en reparlera) !
tu me touches et m’honores infiniment
argh !! cette reconnaissance à travers des jours et des bribes de livres possibles déposées sur un blog, rien que des mots pourtant, des lettres assemblées en mots… et si souvent le découragement rassemblé au fil des années jusqu’à fabriquer une pelote dure dans un creux du corps à cause des épreuves multiples, à cause du monde tel qu’il est, rugueux et inconstant et injuste…
alors ce matin ton regard, Camille, et souvent depuis le début des 40 jours ou presque qui soudain me réchauffe dans la compréhension de ce qui arrive…
à chaque fois aussi tenter des formes (cette fois, rien qu’une phrase… parfois pas de points, seulement des majuscules), néanmoins faire s’élever la même voix…
(merci d’être là, si proche)