Mais je n’en avais pas fini avec le cours inhabituel des événements. Je sentis qu’une présence se rapprochait de mon bureau. Cette fois, c’était des bruits de pas et de canne qui résonnaient dans le couloir.
Encore au chevet de Gorgone (1), je levais les yeux et mon grand-père se retrouva d’un coup, d’un seul, au bond milieu de ma pièce. Grand, élégant, en chemise claire et costume sombre, lunette noire et canne blanche
Que se passait-il ? Etait-ce une hallucination ? Que venait-il faire ici , revenu d’entre les morts ? Je crus devenir folle.
Les personnages de mes romans en cours se matérialisaient-il devant mes yeux, les uns après les autres ?
– Bonjour Carole, me dit-il, tu m’as appelé ? Je reposais tranquille ,et ,toi, tu me déranges. Et voilà que tu ne cesses de parler de moi, de m’inventer une vie. Mais tu ne t’arrêtes pas là. Je ne parle pas de mes enfants et de ma femme ?Que crois-tu ? Qu’on peut entrer, comme ça, dans la vie des ancêtres sans vergogne ?
A ces mots que j’entendis distinctement, je crus m’évanouir…
Le fantôme de mon grand-père (que je n’ai jamais connu), au cadre photo ivoire de l’appartement de ma mère se matérialisait là devant moi et me faisait des reproches !
– On ne touche pas à la vie des morts ! C’est sacré ! Pour qui te prends-tu ! Tu n’as aucun droit, ni de parler de moi, ni de mon handicap, ni de mon art, ni de mon violon.
– Mais grand-père … je ne voulais pas te déranger dans ton sommeil éternel. Je voulais juste raconter l’ histoire de mes origines. J’ai été tellement touchée quand maman m’a raconté ta vie.
– Si tu es en peine d’inspiration, trouve autre chose mais laisse-moi tranquille !
– C’ est grâce à toi grand-père que je m’intéresse à un tas de événements qui concernent l’histoire avec un grand H, en Algérie entre 1939 et 1960, je décris la vie quotidienne des français d’Algérie et ta place d’artiste …aveugle..au milieu de tout ça.
– Non, ne parles pas de mon handicap ! Je ne suis pas d’ accord ! Qui peut se mettre à la place d’un aveugle ? Tu n’a pas le droit, personne ne touche à ça !
– Ah oui , et comment peut-on connaitre les difficultés du handicap, si personne ne raconte tes souffrances ? Et l’injustice que tu as vécu et que tu as fait subir à tes enfants ?
– Mais de quoi tu parles ? Nous étions très heureux . Personne n’était triste chez moi, on chantait toute la journée, on ne se posait pas de question. Tant que nous avions de quoi nous nourrir et nous vêtir , c’était l’essentiel. On ne savait pas ce que signifiait les mots « déprime ou dépression » comme vous dîtes maintenant, on vivait dans l’essentiel, sans superflu . Si tu veux écrire sur ma vie, change de cap ! Arrête de pleurnicher sur mon sort. Va, enquête , renseigne-toi sur ce que tu veux, mais je t’interdis de pleurer à ma place. Tu te trompes, j’étais heureux avec ma femme et mes enfants. Chacun me portait tellement d’amour, et tout était organisé pour que je sois le plus autonome possible au milieu d’eux comme si je pouvais les voir grandir. Je préfère ma vie à la vôtre , car je pouvais voir ce que vous , avec vos yeux , votre technologie ,vous ne pouvez pas voir en face.
– Grand-père , apaise-toi , je t’en supplie, j’ai compris la leçon, je ne ferai pas de livre triste ? Et je me détacherai de toi pour faire vivre un personnage qui te ressemble un peu mais qui n’es pas toi. Je te le promets. Retourne reposer en paix
A ces mots, mon grand-père devint complètement transparent te s’effaça définitivement me laissant dans une sorte d’état de sidération dont j’eus peine à me sortir…
- Textes ds contributions qui portent le nom de Gorgone.