#anthologie#31 | après je pars

Puisqu’on parle de moi, je voudrais préciser deux trois choses. On parle de moi. Pas de lui, pas d’elle, pas de lui non plus. On parle de moi mais ce moi leur est inconnu. Il faut mettre du papier bulle autour de ces assiettes, il ne faudrait pas qu’elles cassent dans le carton. Et cette lampe à pétrole pourquoi personne ne la prend, avec les temps qui courent, avec les menaces, avec l’électricité qui coûte cher, avec l’apocalypse, si, maintenant je sais, cette lampe à pétrole peut devenir un bien précieux. J’en sais des choses maintenant, des choses que je devinais mais que je mettais sous le tapis, j’ai beaucoup fait ça, sous le tapis. Un tracas, je gérais, mais le gros truc ? Non, sous le tapis. La grande maison vide ? Sous le tapis et je ne vis que dans une pièce. Ils voulaient me prendre quelqu’un pour faire le ménage, j’ai dit non, je peux, je ne suis pas grabataire, je peux faire, mais ça m’ennuie. Et là, le plus gros sous le tapis c’est ça : l’ennui. « Elle aura eu une belle vie » qu’ils ont dit au pot après la mise en terre. Au début peut-être, au milieu, je crois c’est passé trop vite, mais le dernier tiers, quel ennui. Quelle hâte j’avais. J’aurais dû faire un grand voyage et ne jamais revenir, mourir dans une jungle infestée d’insectes carnivores, mourir en Inde dans l’éboulement d’un temple amoureux, mourir sous les crocs d’un lion ou dans l’éboulement d’une grotte préhistorique, mourir égarée dans le labyrinthe du minotaure, ou desséchée encore au cœur du Sahara, en étoile sous les glaces de l’Antarctique, étranglée comme cette autre par l’écharpe trop longue qui se prend dans la roue de ma voiture, mourir dans mon sommeil au bord de l’Himalaya ou même égarée dans des catacombes. Les nappes et les serviettes, ils ne vont pas garder tout de même ? Jetez tout ça, jetez tout. Pourvu qu’ils ne trouvent pas mon tiroir secret. J’attends et après je pars.

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