#anthologie #29 | Ce chemin

dans ce retour l’idée de voir ce chemin qu’elle n’a pas pris ce qu’il aurait été si elle l’avait pris
ce qu’ Elle aurait été si elle l’avait pris. Elle fait le chemin ou le chemin la fait? Elle est une addition des lieux traversés par erreur, mauvais choix, bon choix, quel est le résultat de l’addition sinon s’extraire de tout lieu ?

Le café à l’angle de la rue de Turenne avec ses tables marbrées cerclées de cuivre, disparu Cherchant des yeux les Parisiens du quartier les Italiens les provinciaux les juifs les bourgeois les étudiants les clodos C’est là qu’exceptionnellement elle avait bu un café en terrasse Dans la solennité d’un changement de cap d’un abandon imminent de la capitale pour un lieu indéterminé
cette femme déployant une carte de France sur petite table ronde avec son noir allongé dans une tasse de porcelaine blanche, cette femme part au hasard, elle pointe son doigt les yeux fermés vers le Sud-Est. Cette femme part à l’aveugle….ce qu’elle aurait été si elle avait pointé son doigt vers le nord.

La rue de Rivoli à cette tombée de la nuit envahie de touristes compressés Les porches toujours là les petits escaliers de la rue Cloche Perce menant au perron d’une copine de lycée une Alexandra Les colonnes Morris curieusement neuves Ce qu’elle aurait été si elle avait pris ce chemin Elle avait étalé sa carte du sud-est pour repérer où se situait Montfavet ville de l’école d’infirmière psychiatrique
cette femme n’a pas de lien avec la psychiatrie sinon qu’elle fut élevée par des fous mais sans diagnostics. …ce qu’elle aurait été si les diagnostics avaient eu lieu, arrachée pour une pension sécurisée, une famille d’accueil, un dortoir, une communauté de filles.

Cherchant des yeux les Parisiens les femmes avec leur cabas revenant des courses au Prisunic où elle achetait ses petites portions d’étudiante Les lumières du BHV l’attirant encore voir si à l’intérieur toujours les outils le bricolage mais perdue dans des rayons de parfums marques de vêtements et rouges à lèvres
…cette femme ne reconnaît pas les sorties elle cherche les colles la découpe de bois les sonnettes les serrures elle ne sait s’inscrire dans les stands du luxe elle cherche l’espace de la débrouille et des vendeurs en blouse grise, quelle chose aurait-elle été si nourrie de ces marques et cosmétiques, une chose de fiction avec des grands ongles un masque une montre connectée une chose à bouche rouge parlant dans la rue avec son autre monde ?

Le kiosque de Saint Paul toujours là, son vert bouteille à côté de la bouche de métro vert bouteille Un phare dans la nuit du Marais un roc traversant les années Les nouveaux mendiants du BHV tellement mal en point qu’on se demande avec une honte intérieure s’ils ne simulent pas Elle revient en courant presque vers le kiosque oui mais n’affichant plus Libé ni Charlie mais des tours Eiffel et des foulards dorés Se réfugier dans les rues du Marais cherchant rue de Turenne l’adresse du douze mètres carrés mais ne retrouvant pas Magasin de chaussettes de luxe en bas Errance rue des archives qu’elle ne fréquentait pas pourquoi ? Le mendiant pendant l’averse ni bossu ni claudiquant comptant la recette à l’abri d’un porche de pierre n’ayant lui pas changé Les pavés toujours usés les doux réverbères noyés dans les néons roses
voilà qu’elle s’essaye à regretter ce qu’elle n’aimait pas, la brume autour des réverbères les files de voitures au feux rouges l’esplanade de l’Hôtel de ville vide , animée seulement des vieilles nourrissant les pigeons et des mômes au cartable la grande solitude dans la grande ville
…cette femme a décidé de fuir son lieu, elle fuyait ainsi sans le savoir le devenir du lieu,, elle serait devenue ce que le lieu est devenu, par mimétisme, intégration, habitude, assimilation

Kyrielles d’Asiatiques Kyrielles de trentenaires aisés uniquement occupés de la mise en scène de soi La rue devenue quasi piétonne l’Hôtel de ville avec musique patinoire et projecteurs éblouissants Perdu l’emplacement de ce restau décoré de ballons multicolores où elle dînait d’amour et de fromagée Laissé cet homme sur la route pour chercher mieux bêtement c’est certain La question de savoir si le chemin que l’on n’a pas pris menait à un chemin autre Ce studio perdu dans la nuit perdu le numéro les petits carreaux les grandes fenêtres Était-ce au premier étage ? Le magasin bazar de vêtements de toutes origines disparu Oui mais ici un petit Charles ici ne serait pas né Ici

https://www.tierslivre.net/ateliers/anthologie11-tentative-de-retour/ :Texte initial

A propos de Valérie Mondamert

J'anime des ateliers d'écriture dans les Alpes de Haute-Provence depuis dix huit ans, (DU d'animateur en atelier d'écriture en 2006, à Marseille), je suis prof de musique et je mêle avec joie les deux fonctions. J'ai publié des récits.

3 commentaires à propos de “#anthologie #29 | Ce chemin”

  1. … J’avais beaucoup aimé le texte 11 cette nostalgie peut-être, cette perte de repères mais pas tout à fait et là le texte prend une densité qui ouvre vers une « kyrielle » de questions personnelles et devenant par ces mots savamment ajustés, universels… merci pour ce clin d’oeil aux employés en blouse grise du BHV… et d’autres souvenirs que je retrouve dans tes mots…et puis Charles qui  » débarque » à la dernière phrase… qui en appelle des centaines d’autres, de phrases!. A suivre! Merci à toi

  2. Les tables marbrées cerclées de cuivre, le Prisunic et les portions d’étudiante, les nouveaux mendiants du BHV tellement mal en point qu’on se demande s’ils ne simulent pas,  » elle serait devenue ce que le lieu est devenu, par mimétisme, intégration, habitude, assimilation »..; merci pour cette belle évocation nostalgique et apaisée, par le petit Charles aussi