Arriver à vélo. Sonner. Attendre l’ouverture de la porte. Resonner souvent. Entrer et tourner légèrement sur la gauche pour ranger le vélo dans les deux barres en fer prévues à cet effet. Sortir la clé du sac, détacher le U se trouvant autour du guidon. Insérer le U entre la roue et les barres d’acier. Ranger la clé dans la même poche du sac, celle se trouvant sur le côté.
Détacher le casque du vélo, se passer les doigts dans les cheveux pour redonner un peu de gonflant à la coiffure. Enlever aussi les pinces à vélo du pantalon aux bas trop larges et les mettre dans le casque en l’ayant tourné à l’envers. Pinces à vélo, véritable baromètre de l’état mental. Pas de place à elles, alors les chercher chaque matin. Si la recherche est rapide, la tête est calme et reposée. Si la recherche consiste à soulever, déplacer, rerentrer dans la maison fermée à clés, alors la tête est en déplacement.
Livres de La Pléiade, j’ai été adepte, je ne le suis plus. Il y en a deux que je chéris plus que les autres car ils renferment des lettres de l’auteur répondant à mes demandes. J’ai même gardé les enveloppes avec l’écriture en pattes de mouche. Je les relis de temps en temps. Elles habitent ma bibliothèque. En pensant aux personnages de Gracq : Grange, Aldo, Albert, je me dis qu’ils n’ont pas de chez eux : maison forte, forteresse, ce qui revient à peu près au même, château perdu au milieu de la lande bretonne, ils vaquent au monde, sans attache, ils habitent le monde. Ils sont au monde.
Dans la journée qui s’avance l’ordinateur va s’allumer. Un doigt. L’index montre le bouton de droite qu’il frôle et j’attends. Un reflet bleuté sur le bureau entre dans la chambre. Un rai de lumière sépare alors le sol de façon oblique heurtant le lit. L’ombre du mur dans le jardin a mis ses bottes de sept lieues. Plus de soleil sur la sauge. Un insecte, attardé, retardé butine encore, fleurant jusqu’au dernier moment. J’attends encore un peu. Je guette l’heure des geckos. Sortant de façon impromptue ils dessinent sur le mur qui me fait face un labyrinthe dont eux seuls savent sortir. L’ombre du jardin est là, envahissante. Tout au bout, à droite la bande de soleil lutte pour rester jusqu’au dernier moment, le moment où je vais commencer. Je prends le temps de rêvasser. Je regarde l’étagère où un oiseau en céramique était perché. Je l’ai fait tomber. Il est mort. J’attends un tout petit peu. Les gazénias sont déjà fermés au monde des ombres. Le jasmin s’est tu mais un avertissement olfactif m’indique sa présence. Je vais devoir allumer. La pénombre est vivante. Attendre encore.
alors que la maison dort encore je me dis que ce serait bien que je m’arrête cette fois, si la femme est encore là, j’ai un peu honte de l’avoir laissée sous la pluie, cette femme dans cette attente au bord de la route, je lave ma tasse de café dans l’évier sous la fenêtre, le robinet n’est pas encore réparé, de l’eau m’asperge, cela m’agace, j’essaie de le revisser une fois de plus, le pas de vis est complètement rayé à force d’être enserré par la pince, la pince est rangée avec les fourchettes, c’est plus pratique, le robinet ne fait plus fontaine de Trévi, ma tasse est lavée, je la mets à l’envers sur l’égouttoir, des gouttes d’eau prennent leur temps pour s’ébrouer
Mais là, il était en voiture étonné lui-même d’être sur cette route qu’il n’avait pas encore arpentée Il rentrait chez lui Le jour commençait à se cacher derrière ses yeux encore pleins de l’interdit Une ombre rectiligne partageait la chaussée en deux traçant une frontière entre ombre et lumière Le saint Christophe se balançait de droite et de gauche et semblait le narguer ou lui dire non dans son geste pendulaire Ou peut-être dansait-il joyeusement C’était difficile à savoir