#anthologie #28 | Petites réjouissances

Dans la descente des escaliers, sur le pilier de pierre formé par la superposition des marches du colimaçon, il y a des graffitis creusés au couteau. La technique du couteau dans la pierre est d’ordinaire réservée au temps long, c’est-à-dire à la prison, mais ici quelqu’un a pris son temps, ni sorti les craies ni sorti le crayon, mais sorti le couteau d’une poche ou d’une ceinture, on sait que parmi les visiteurs de Sara, bien que plutôt féminins, quelques hommes avec armes blanches sensées rallonger leur espérance de vie viennent demander la guérison d’une mère ou celle d’un fils. Dans la pierre il y a sept traits ourlés de nœuds tous les deux ou trois centimètres, imitant du fil de fer barbelé ou une couronne d’épines dépliée, on se réjouit d’une énigme mais soudain celui qui regarde sait ne pas détenir le code pour déchiffrer ce graffiti et préfère ne pas trop ralentir à cet endroit. https://www.tierslivre.net/ateliers/anthologie23-sara-la-noire/

Quand je t’ai vue je venais de m’arrêter devant la boulangerie. Dans la vitrine encadrée de mosaïques vertes servant de fond à des miches rouge et or et des épis rouge et or en tous petits carrés agencés depuis un siècle, le boulanger avait élaboré des échafaudages de miches collées les une aux autres, de baguette en épis, de flûtes, baguettes Sarmentine, de pains viennois debout servant de piliers à des rangées de petits pains ronds, qu’on imagine briochés mais sans pépites, le tout imitant une grande porte avec arche, brillante et passée au jaune d’œuf, une arche de paix car il y avait des pigeons en sucre blanc évoquant des colombes, ou une porte de ville car là on entre dans le onzième arrondissement, de l’autre côté du boulevard déjà le Marais. Le tout planté de vrais épis de seigle avec leur barbe longue et grise, piqués au hasard sur le haut de l’arche, comme sur la tête d’un personnage émergé du lit, lui donnant des allures de feu d’artifice, d’abondance, de moissons, de poussière sous la moissonneuse et de mois d’août, sauf que tu surgit à ce moment là, serrée dans ta petite fourrure blanche. https://www.tierslivre.net/ateliers/anthologie20-laure/

Dans cette pièce encore nue, il accrochera trois étagères de noyer amoureusement poncées et cirées, un cadeau pour son anniversaire, sur lesquelles elle posera ses objets précieux : une collection de théières dont elle aime changer la disposition selon le sens esthétique du jour : par matières (grès porcelaine métal), par degré de décors (émaux rouge et craquelé de la théière japonaise), par tailles (la minuscule en fer rouge), par valeur (la superbe à bec long et fin en porcelaine blanche). Un jour de trop d’alcool il arrachera les étagères et les théières se briseront au sol, elle ramassera en silence et jettera aussi les deux théières de fer, orphelines et ne pouvant plus prétendre au bonheur des alignements, des collections, et des souvenirs. https://www.tierslivre.net/ateliers/premier-salon/

Au sol la silhouette ronde d’ un abat-jour à franges monté sur une bonbonne à vin de dix litres, bonbonne en verre soufflé car contenant des bulles. L’abat-jour est de guingois mais de soie, soie peinte d’oiseaux en vol et de fleurs écloses, rattachées à tes tiges formant guirlandes, dans les tons orange et vert d’eau. Les franches colorées par un bain de thé mériteraient un coup de peigne, les gosses en ayant tressé les brins, car la lampe est placée près de la cheminée. Elle leur permet le soir de s’occuper au chaud car il n’y a ici rien à faire. https://www.tierslivre.net/ateliers/anthologie21-apres-avoir-eteint-la-lampe-2/

Dans la salle il y a près de la porte d’entrée une affiche maison formée de quatre feuilles A4 punaisées côte à côte avec des punaises dorées, très proches les unes des autres comme un cloutage de cuivre sur fauteuil Louis XVI. Au marqueur noir est dessiné un terroriste cagoulé tenant une kalachnikov avec ses mains gantées, à cheval sur les quatre feuilles. Il est surmonté d’un crayon ailé en vol dans le haut de la page, émettant une crotte assez grosse et plutôt liquide vu les gouttes qui rebondissent sur le crâne du cagoulé. Personne ne commente jamais, ni élèves, ni profs empruntant la salle de musique, ni inspecteur, ni principaux se succédant au collège, et à ce jour aucun terroriste ne l’a vue, cette affiche préparée à leur intention, un jour de janvier 2015. Avec anthologie 01https://www.tierslivre.net/ateliers/au-college/

A propos de Valérie Mondamert

J'anime des ateliers d'écriture dans les Alpes de Haute-Provence depuis dix huit ans, (DU d'animateur en atelier d'écriture en 2006, à Marseille), je suis prof de musique et je mêle avec joie les deux fonctions. J'ai publié des récits.

3 commentaires à propos de “#anthologie #28 | Petites réjouissances”

  1. … je suis allée lire  » au collège » passé trop vite ou pas vu passer… merci pour ce texte témoin avec la marque du temps, et cette urgence qui comprime les gestes, les désirs. le texte 28 est précieux pour rendre juste ce  » tableau ». Merci

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