1/ Clair obscur
La luminosité de mon écran d’ordinateur fait deviner les ombres de mes grands compagnons, bureau, stylos, livres et cahiers en vrac. Encore en chemise de nuit, je me mets en place . J’attends que ça vienne. Mon cerveau est endormi. Hémisphère droit rien, hémisphère gauche rien. Je visualise mes deux cervelets. Ils ronflent encore et me laisse vide.
Un petit haïku de rien du tout. «Toute la pluie tombe, à la ligne. Sur mon cœur , à la ligne. Endormi, à la ligne». Nul, archi nul . Un conte alors : « il était une fois, un début d’histoire , pas de château, pas de prince , pas de princesse, pas d’enfant, le chaos… » encore raté. Autobio alors… née le 7 09 1966, paris 15 ème, sexe féminin . Pas envie de raconter ma vie. N’intéresse personne. Roman : Ressortir mes carnets et relire tous mes débuts d’histoire. Peut-être que ça va venir… rien. 7h30 , le réveil sonne.
C’est un réveil manuel qui fait tic-tac. Quand je ne veux plus le remonter avec sa petite manivelle, il se tait et c’est très bien. Je n’arrive pas à m’en séparer. Il est argenté. Je l’ai acheté à Monoprix . Ses aiguilles et sa trotteuse sont de style ancien. Il a un côté kitch. Il me rappelle celui de ma grand-mère qui a disparu dans les déménagements. Le réveil, pas ma grand- mère. Une grand- mère , ça ne disparait pas dans un déménagement… sauf… tiens un début d’histoire… Il a des sortes d’oreilles en aluminium qui tintent quand c’est l’heure et qui nous réveillent , car ça résonne la dedans . Un bruit sourd avec les années et la poussière accumulée à l’intérieur. Irrécupérable. Le petit marteau entres les deux oreilles devint fou , il est prisonnier du système. J’aurai bien envie qu’il se casse. Mais non, il restera là jusqu’à la fin…
Ça y est , c’est fini pour aujourd’hui. Ma deuxième journée commence. Je referme mon ordi. Mince j’ ai oublié de sauvegarder . On ne sait jamais….
2/ Une histoire de ponts
Je montrai bien dans le 28 pour la traversée de Lisbonne. Ça monte, ça monte. Le tramway fait le job depuis 1908 , je pourrai lui faire confiance… mais on ne sait jamais. Et si juste , le câble cédait…j’ai l’habitude de compter sur mes jambes mais là, je n’ en peux plus ; la chaleur… et se dire que je suis venue jusque-là… poussée par la curiosité , j’ oublie ma soif , j’oublie mes jambes enflées , j’oublie mon dos courbé sous le sac à dos , et en avant , je veux voir les murs de Street art, c’est marqué dans le guide. C’est bon ça sonne, ça roule, ça grimpe . Soulagement . On y arrive, mes yeux s’embrasent. Je le savais . Les couleurs du sud sont merveilleuses , les couleurs de la révolution. De l’amour , du sexe . Les artistes sont tous là. Dans une extrême liberté. Il fait frais là-haut. L’air est pur. L’inspiration aussi . Le Fado, la nature luxuriante, toutes les espèces de fleurs et d’arbres. Je n’ ai jamais vu de couleurs pareilles sur ces tableaux grandeurs nature . Et là , devant moi, un mur, l’artiste a peint mon histoire de ponts, les deux frères, celui de San Fransisco et celui de Lisbonne , mes deux ponts rouges plantés aux dessus des eaux, je tourne la tête , et je l’aperçois du haut de cette colline . Je redescends , une envie irrésistible de le traverser….
Et devant l’entrée du pont, une statue gigantesque , en acier rouillé et bleue turquoise à cause du sel et de l’oxydation. C’est Vasco de Gama qui a rallié l’inde en contournant l’Afrique. J’ai googlelisé pour savoir ce qu’il a découvert. Depuis j’ai oublié…
3/ La maison
Vincennes, Bus 124, direction métro Odéon .Lever 6h00 retour 20h00. Coucher 20h30 .
Traverser du bd Saint Germain sans se faire renverser . Ça serait dommage pour ce job de début de vie . Stop au feu, passage piéton. Reprendre sa respiration, franchir le seuil de la Maison d’Edition. Bâtisse à balcon sans jardinière, ni jardinier d’ailleurs. Trop de pollution et de gaz d’échappement . A l’époque , pas d’impact Carbone. Fronton type art- déco.
Portail à battant en fer forgé. Pousser de toutes ces forces pour franchir le seuil. Mériter le recrutement, raconter ces diplômes, dire qu’on est célib. Montrer son intérêt pour toutes choses qui ressemblent à un livre . Oui , faire sentir que c’est de l’encre qui coule dans ses veines. Franchir le seuil de cette Maison, qui ne ressemble pas à son deux pièces-cuisine de la rue de la résistance 94300.
Un escalier s’érigeant là devant soi, là, depuis toujours. Une rampe en bois , qu’on a recouvert d’un tapis couleur cerise pour pas faire de bruit.
Rez de chaussée, droits étrangers et administration, pointeuse.
Premier étage , édito, direction, faire silence, montrer qu’on est arrivé à l’heure voire en avance.
Deuxième étage , salle de réunion, service des secrétaires d’édition. Que des filles. Les hommes , c’est à la direction. A non. La Femme. L’assistante de direction. Elle, est au premier. Tailleur Chanel 36-38. Chignon banane d’une blondeur à faire pâlir de jalousie une hôtesse de l’air. Escarpin Louboutin perçant la moquette, tapant les bandes restantes de parquets de chêne. Son aigü, rythmant des pas d’aller-retour. Elle , elle sait tout ,de tout ,par tout, elle est l’ombre du Grand-P , son oreille, ses yeux , ses mains, sa bouche, son sexe. Lui, jamais vu. Il ne se montre pas, il est le chef, non, la tête, non, le cerveau, non, l’In-te-ll-igence. La dé-ci-sion. Le droit de vie ou de mort, sur les manuscrits, les auteurs, les imprimeurs, les graphistes, les illustrateurs… les petites mains, les abeilles du service de fab. Trois salles par matières, une pour les beaux-livres. Une pour les brochés-collections universités, une pour les cartonnés papiers. Trois bureaux par salles, trois placards à casiers pour les stockages des épreuves s’accumulant , s’accumulant.
Près de la fenêtre, il y une plante verte, un immense cahoutchouc des années 70 qui veille. C’est une espèce en voie de disparition dont il faut prendre soin et qu’il faut arroser tous les jours , un verre d’ eau seulement . Il faut dépoussiérer ses grandes feuilles douces , larges et brillantes. Elle ne fleurit pas. Mais elle a des pousses vertes claires qui montrent sa bonne santé. Elle est là depuis au moins vingt ans. C’était un cadeau du premier mariage du patron. Il a ramené après son divorce. Après, elle n’a plus bougé.
4/ Le dernier enregistrement 1
Et elle va en voiture sur la route en direction de cette maison , je veux dire de cet appartement où il y a la photo du cadre au collier ivoire je dis au collier parce que je ne sais pas comment dire , c’est une sorte d’encadrement ouvragé avec des grosses perles ivoires de la plus petite à la plus grosse le fond est un aplat gris on distingue très clairement les traits du visage figé de ce grand-père inconnu qui a cependant un air un peu sévère pour une petite fille de huit ans qui ne comprend pas très bien pourquoi il porte des lunettes noires qui le mettent tout le temps dans la nuit Mais il faut d’abord regarder la route qui mène à l’appartement car les yeux ça sert à conduire et quand quelqu’un devait le conduire en voiture ou à pieds avec ses lunettes noires il ne devait rien voir du tout se dit la petite fille …
5/ Gorgone 2
A ces mots , les corps de Gorgone se transforma sous mes yeux, sa colonne vertébrale durcit et son dos devint dur comme de la pierre et se recouvra d’une sorte d’écorce, puis ce fut le tour de ses jambes et de ses pieds palmés qu’elle ramena autour de ses bras . Elle rentra sa tête dans ses genoux repliés, et le tout se mit à fondre et à se reconstituer en une sorte de boîte rectangulaire , puis cette boîte se recouvrit d’une sorte de croute en cuir brune, et une lumière irradiait de ses bords alors qu’un tremblement, dans un bruit assourdissant se fit entendre. Je cachai mes yeux dans mes mains pour ne pas être avoir les pupilles brûlées , la chaleur et l’ incandescence de l’objet allaient bientôt me consumer quand il se refroidit comme par miracle, cheveux, visage, et corps de Gorgone avaient disparu pour laisser place à un énorme manuscrit tel que peut en trouver dans les librairies de livres anciens.
L’objet fumait encore , et mais un halo de lumière entourait le manuscrit. Ma curiosité était telle que je voulais ouvrir cette sorte d’ouvrage dont il émanait une odeur d’encens , je dirai une odeur de kétoret.
Sur la première de couverture , s’inscrit alors en lettres de feu, Livre des Phylactères.
Je pressenti que j’avais là, un livre des origines, qui m’ était parvenu des profondeurs de la terre et des mers ; qu’il devait exister un monde sous-terrain, qui devait être l’origine de notre monde ; et que Gorgone était venue me prévenir d’un immense danger…