Ce n’est pas une dispute mais ça en a l’air parce que les voix s’échauffent et s’accélèrent. C’est à qui aura raison autour de la table où le vin coule dans les verres, où le pain se déchire en morceaux, où le couteau racle dans le plat la part de tarte servie dans l’assiette. Une fourchette tombe sans bruit d’abord sur le tapis, puis rebondit sur le carrelage. Quelqu’un râle. Il cherche ses mots pour parler, pourtant des mots simples, quand il veut dire ça sort lentement, mais ça sort, et de toute façon, les autres n’ont pas raison. La cloche de la caravane du voisin tinte avec le vent. Un insecte se colle à la vitre. Le four sonne, il n’est plus chaud à présent. Le frigo se met en route pour refroidir encore. La chaise se recule, sans bruit d’abord, toujours à cause du tapis. Du vin encore. Des rires, et ça s’échauffe. Il faut augmenter le son de la télé. Manger avec les bruits de la guerre. Manger devant les gens qui ne mangent pas et qui ont tout perdu. Les insectes cognent contre la vitre, attirés par la lumière. Les bouches mâchent et déglutissent. Ces coups de mâchoires à viande. Tiens, voilà qu’il ne répond pas à la question, tiens, voilà qu’il coupe la parole, tiens, voilà qu’il bégaye et qu’il parle plus fort. Et quand elle, une autre elle, veut parler, il augmente le son de la télé pour écouter les informations, et tandis qu’elle essaie de prouver ce qu’elle dit, qu’elle le dit avec force, qu’elle argumente, elle le regarde mais lui n’est plus là, il est dans la télé, absorbé par quelque chose de plus important. Et puis il mange. Et puis comme ça, alors qu’elle est en train de dire sa chose importante, il regarde un autre et change de sujet, et change de voix, il prend sa voix pour plaire. Bruit du culot de la bouteille sur la nappe. Voix dramatique du journaliste. Bruits sourds des ventres et des gorges fermées. Bruit de la paume de la main qui ramasse les miettes de pain sur la table. Le papier défait du camembert. Opercule du yaourt qui se détache. Vibration d’un téléphone. Voix silencieuses à présent, écorchées. Elle, encore une autre elle, une qui a déserté cette table depuis vingt-cinq ans, vide son cendrier dans son assiette en le faisant claquer.
très réussi. Bravo.
Merci Danièle pour la lecture et le commentaire
Je quitte la table ! Merci !
😉, merci pour la lecture
tout entendu dans le brouhaha…
je crois que je n’ai plus faim tout comme elle qui vide son cendrier dans son assiette…
ah la la les repas de famille !
merci Nolwenn
Après relecture effectivement, j’ai pas été tendre… merci pour ta lecture Françoise