#anthologie #26 | Dans la crypte

Plus on descend l’escalier de pierre plus on entend ses propres pas, dont l’intensité est proportionnelle à son propre poids, ainsi que celui de ceux qui vous suivent, respiration sifflante de la quatrième personne derrière liée au son mat de ses baskets s’écrasant sur chaque marche, sautillement d’un gosse à deux pieds sur chaque marche sa mère le retenant par le poignet chuchotant un reproche, un chuchotement retenu car nous arrivons dans la crypte, le respect de la statue de Sara la noire s’impose, liée au mystère non pas de sa possible incarnation dans des temps immémoriaux, (elle serait venue de la mer à coup de flocs des rames le long de la barque, elle aurait buté contre le sable de la plage, en soulevant d’un coup énergique les tissus lourds d’eau de ses jupons elle aurait sauté sur le sable et l’absence de son aurait révélé sa nature immatérielle car un humain qui saute a du son), non, le respect de la statue de Sara la noire s’impose car nous sommes sous terre. Sous terre, on fait d’emblée moins de bruit que sur terre, car nous ne sommes pas chez nous, mais plutôt chez les morts, et la vigilance s’impose en même temps que le respect des croyants immobiles devant les cierges, qui éteignant son portable avec un gloups d’avalement, qui chuchotant penché vers sa voisine des mots de païen, quelques hoquets de rire retenu, l’autre à voix haute « quoi ? », chhhhhut, le gosse faisant claquer les godets rouges des bougies fondues, cherchant à remplacer les vieux par des neufs, la mère lui arrachant un neuf qui tombe sur la dalle, sortant sa monnaie pour le payer et donc calmer le gosse, zip, brassant les pièces au fond d’un porte- monnaie noir à fermeture éclair, zip, le père brassant dans sa poche la monnaie mélangée à un trousseau de clé, sortant le tout, faisant chuter un euro, le gosse à quatre pattes rampant sous les tables à cierges, récupérant la pièce «  je l’ai ! » chhhhhhut, les chrétiens se signant puis reniflant, l’un éternuant en se retenant, poussière vieille poussière, l’autre s’épongeant le front avec un mouchoir sorti de sa pochette en plastique, une femme à genoux se relevant dans un claquement suspect de hanche, accompagné d’un souffle laborieux, certains remontant les escaliers et commençant à parler dès la troisième marche, tousser, se racler la gorge, sortir un bouteille d’eau en plastique si mince qu’il émet un son de froissement.

Une ado est restée dans la crypte claquant son chewing-gum bouche ouverte à grands coups de mâchoire, elle sort son portable et photographie la sainte de très près, clic, ses épaisseurs de robes et manteaux, clic, les cierges blancs, clic, les bougies rouges, clic, puis elle disparaît en courant dans l’escalier. Je suis seul. Le bruit du silence est un bruit blanc. Les milliers de flammes ne crépitent pas, pourtant elles créent une respiration, une transpiration sourde de crypte, la densité de la chaleur et le regard de Sara oppressent mes tympans, je suis sourd et j’entends le bruit de la foi ou celui de mes erreurs ou celui de mon cœur.

suite de Sara la noire https://www.tierslivre.net/ateliers/anthologie23-sara-la-noire/

A propos de Valérie Mondamert

J'anime des ateliers d'écriture dans les Alpes de Haute-Provence depuis dix huit ans, (DU d'animateur en atelier d'écriture en 2006, à Marseille), je suis prof de musique et je mêle avec joie les deux fonctions. J'ai publié des récits.

Un commentaire à propos de “#anthologie #26 | Dans la crypte”

  1. … j’aime cette façon de faire vivre un personnage avec trois ou cinq mots, pas plus, il n’en faut pas plus et on est là on les voit…très distinctement. Et « un regard » qui oppresse « les tympans »… c’est puissant.. à suivre avec Sara!