Dernier enregistrement (6)
Comment ne pas travailler sur les odeurs quand le sens de la vue est étranger à l’enfant (et à l’adulte) qu’est mon grand-père Henry . Donc, Henry est aveugle et là , il va falloir chercher. J’aurai aimé qu’il me parle et raconte… mais rien , je ne l’ai pas connu…
Alors je me bande les yeux régulièrement où que je sois, pour élaborer un monde olfactif…
Je relis le monde des odeurs de Balsac, Zola ,Proust, plus proche de nous , Claudel, Süskind, de Ryoko Sekiguchi …
Et la porte du tout est possible s’ouvre…
Quelle aurait été l’odeur de toutes les vies qu’ Henry a menées, l’odeur de sa mandoline, de son violon, de son archet, de sa musique … il ne m ‘en reste qu’ une cassette-audio.
Alors je me pose un tas de questions et l’imagination est une magnifique usine à fabrication d’odeurs…
L’odeur de son lit , du lever au coucher, l’odeur de son intérieur, de son intériorité, l’odeur de sa femme, (ma grand -mère , jeune, adulte , mère, femme , femme en colère, femme battue par son aveugle de mari).
L’odeur de ses enfants, qu’il reconnaissait au parfum de leur peau.
L’odeur de ces amis musiciens, l’odeur des maisons, des lieux en pleine air où ils faisaient danser des centaines de convives…
L’odeur des guerres successives de 39 et d’Algérie…de la DCA (alerte bombardement)
L’odeur de la cave qu’on avait aménagée pour lui comme sa deuxième maison , tellement descendre se protéger au sous-sol pendant les alertes, était devenu une routine…
L’odeur des désillusions , de la violence, du sang, de la faim , de la peur…
L’odeur du réconfort éphémère, de l ‘amour, de l’alcool de figue, de la cigarette, des cafés.
L’odeur de la dépression qu’on ne reconnaissait à personne …
L’odeur de l’argent, même si l’ argent n’a pas d’odeur ….des pièces jetées dans son chapeau.
L’odeur âcre de la paille des balais de l’usine pour aveugle, où il était obligé de travailler pendant la guerre pour nourrir sa famille.
L’odeur du sel et de la mer, des coups de soleil
L’odeur du port d’Oran du bateau ramenant des milliers de rapatriés entassés et pleurant de tout laisser derrière eux…
L ‘odeur du port de Marseille, l ‘odeur du débarquement des désespoirs…
L’odeur du nouvel appartement repeint à la va vite par Louiso pour accueillir toute la famille avec ses valises …
L’odeur de la capitale et d’une nouvelle vie …
L’odeur de l’ hôpital, de l’éther, du cancer, de la douleur
L’odeur de la peine de sa femme, de ses enfants
L’odeur du deuil… l ‘odeur du manque.
Oui, toutes ces odeurs, celle du manque est si forte, si belle. merci.
Merci Clarence , l émotion est partagée .
Imaginer toutes ces odeurs qui ne nous appartiennent pas, une gageure. Merci Carole.
Merci Élise, oui il faut être prête à ça, c est compliqué ….
quelle belle idée que de reparcourir le monde des odeurs autour de son grand père Henry et on te suit depuis le parfum de la peau des enfants à la dépression
parcours jusqu’à l’odeur du deuil…
bien à toi…
Merci Françoise pour ces mots . Le monde des sensations nous porte loin dans l imaginaire…
Aller chercher les possibles des odeurs d’un autre, pour l’approcher un peu plus, le respirer d’un peu plus près, peut-être… merci pour ces mots sur le manque et la quête de retrouvailles. Emouvant.
Merci Eve pour ta lecture toujours attentive et sensible.