Un bras qui pend comme une liane descendant sournoisement le long du tronc. On ne voit pas la tête, elle est tournée du côté mur pour mieux égarer les lumières des frontales qui jouent aux ombres chinoises la nuit venue. En-dessous, son compagnon de lit superposé, peut-être randonnent-ils ensemble, peut-être pas, dort la bouche ouverte tournée vers l’allée étroite qui les sépare d’autres lits superposés. La couette se soulève de façon régulière imprimant un rythme qui lui semble propre. Les traits de l’homme sont reposés, lisses, savourant le repos nocturne avant la levée aux aurores le lendemain. Le bruit a couru : demain des orages sont annoncés en début d’après-midi, il faut partir de bonne heure, il faut arriver avant eux. De l’autre côté, en passant, je vois les soubresauts d’un autre, sa nuit reprend la chute de la journée. Le corps a gardé en mémoire l’événement traumatique et le revit. Son visage est à plat, face tournée vers le lit du dessus. Les paupières sont légèrement plissées, le corps n’a pas encore pris le chemin du plein repos. Au-dessus de lui, c’est comme une masse bleue qui pendouille, forme ovale qui renferme les pieds, pieds qui semblent vouloir s’échapper de leur sarcophage et se libérer de cette gangue, ils ont pris le goût des escapades. Ils sont prêts à s’échapper, surtout la nuit. En cheminant sans bruit dans le dortoir, je passe devant ce qui ressemble à une famille : les parents en haut et les enfants en bas. Le jeune garçon est roulé en boule dans sa couette qui ne le couvre plus guère. Il n’a pas de drap. Un petit sourire semble me faire signe mais ce n’est que la forme de sa bouche qui est ainsi, se rappelant sans doute un moment agréable de la journée. Son frère ou sa sœur, je ne sais pas est tourné côté mur, comme d’autres, pour se protéger de la lumière du petit matin qui viendra le chatouiller. La mère et le père ont aussi le visage tourné vers le mur. Elle, elle est comme couchée en équerre, son postérieur que l’on devine sous la couette pointant au bord du lit, prêt à chavirer. Quant au père, droit comme i respire fortement, ce n’est pas encore un ronflement, c’est à la limite, au point de bascule qui est capable d’agacer ceux qui ne sont pas encore endormis comme moi. Je fouille dans mon sac, je suis arrivée au bout du dortoir, je sais exactement où est rangée chaque chose, je prends mes bouchons d’oreille avant de me joindre au groupe de dormeurs.
6 commentaires à propos de “#anthologie #24 | marmottes”
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Observer des inconnus pendant leurs sommeils, il ne reste que les dortoirs de montagne pour le faire. On y est. Bravo.
Merci.
C’est un condensé de tous les refuges que j’ai traversés.
Tiens, tiens, moi aussi j’étais à la bérarde dans les orages, les refuges et la peur.
La peur en refuge, je n’ai jamais connue. Peur du brouillard en rando oui ,peur de ne pas parvenir jusqu’en haut oui, peur de ne pas retrouver la trace oui (avant les multiples applis..) mais jamais peur de naviguer seule, cette année exception : je rejoins un ami et je vais randonner accompagnée 😉
J’aime tous ces passages du début, quand on tâtonne à la lecture sans savoir où l’on est, ne voyant que des formes, c’est presque à la limite du fantastique, puis progressivement l’écriture, comme les yeux de la narratrice se frayent un chemin et comprennent, joli mouvement du texte
merci.
Je n’avais pas pensé à la limite du fantastique.
Je suis juste une « habituée » des refuges en montagne ou du bivouac au milieu de rien et de tout quand le bruit humain des refuges me perturbe de trop…