#anthologie #23 | Underground

Parfois le vieux délire, soi-disant qu’avant les humains auraient vécu à la surface. Et vas-y que c’était mieux que maintenant. Que soi-disant l’air avait un parfum sucré et pou, lui il dit un mot comme doux mais c’est pas un mot qui existe. Au bout d’un moment évidement il commence à me courir alors je lui demande des détails précis. Des précisions… ben,  il en a pas puisque j’étais trop petit pour m’en souvenir vu que ma mère –sa mère à lui, ma grand-mère à moi, je l’ai pas connu- a accouché comme tout le monde dans l’unité médicale under-quatre d’urgence lorsque l’entrée de la ville souterraine a été scellée . Et voilà, trop facile de s’en sortir comme ça. Il sort une énorme connerie avec aucune preuve et il laisse gamberger l’assistance avec un sourire méprisant.   

Non ce qui m’énerve le plus c’est cette manie qu’il a de déblatérer sur les petits under-niveaux, il a oublié que c’est la honte totale au dessus de under-dix. Et encore, under-onze c’est pour les clochards. J’imagine même pas ce qu’il y a au dessus, ça doit grouiller de bestioles glauques.   

C’est à ce moment là que je me casse de la cellule de famille pour aller retrouver ma bande. Souvent on descend zoner du côté de la rue commerçante de under-trente, c’est la seule moins-dix qui n’exige pas de passe-niveau pour nous. 

Bien sûr il existe d’autres rues commerçantes profondes plus bas, j’ai même entendu quelqu’un dire qu’il connaissait la rue de Rivoli, une under-soixante, elle serait pavée d’or et brillerait comme un sommeil ou peut-être comme un soleil, je suis pas sûr du mot. Bref, moi aussi je connais la Rivoli ! de nom seulement, mais je ferai jamais comme si j’en revenais, je sais bien que personne ne peut descendre sous plus de quatre niveaux. La under-trente est une exception pour notre quatro du under-dix huit à under-vingt deux, car beaucoup d’entre nous peuvent trouver un boulot autour du under-trente.

Des boulots géniaux, tranquilles qui montrent que tu as réussi dans la vie. Soit juste au dessus, pour pousser les chariots de bouffe jusqu’aux cheminées d’alimentation pour les resto.  Ou alors encore haut-dessus pour t’occuper des animaux destinés aux chariots, c’est assez facile mais faut-pas t’attacher à ces petites bêtes, elles vivent pas vieilles. Pour l’instant, je bosse en under-vingt sept, je passe mon temps à séparer les fourrures récupérables du reste des carcasses. Les os remontent en under-vingt cinq pour être broyés puis en under-vingt quatre pour enrichir la terre des champignonnières. Les peaux remontent en under-vingt six pour être tannées puis redescendent vers les dessus des quatro chics pour devenir des manteaux. Des manteaux ! Ouais moi aussi ça m’a faire rire quand je l’ai appris, un manteau ça sert à rien la température ne change jamais. Mais, on m’a dit que vers Rivoli ils ont des machines pour régler la chaleur et même créer du froid, comme ça pour rien. Ils ont séparé l’année en quatre, ils changent la température et quand c’est le moment qu’ils appellent  l’hiver ils enfilent les manteaux en peau de petites bêtes. Pourquoi faire ? Pour passer le temps je suppose. 

Bref en under-vingt sept ça pue, mais c’est rien à côté de under-vingt six. Autant dire que aller faire un tour dans la rue commerçante de under-trente c’est les vacances et ça sent bon. 

Je travaille dur, je suis réglo, je fais pas de conneries et j’ai beaucoup d’ambition. Un jour c’est sûr je parviendrais à vivre sous la rue commerçante.    

A propos de Noëlle Baillon-Bachoc

Lectrice compulsive, attirée depuis le plus jeune âge par la littérature de l’imaginaire avec une prédilection pour le fantastique. Je me consacre à présent totalement à l’écriture. J’anime des ateliers d’écriture et des stages dédiées à la littérature de l’imaginaire.