#Anthologie#23 : Sara la noire
Sous les piliers de pierre et les dalles usées de Notre-Dame-de-la-Mer, église à clocher de cinq niches et cinq cloches découpées dans le ciel bleu au-dessus d’une ville basse, sur fond immaculé de Méditerranée, l’escalier étroit aux marches creusées par des pieds de pèlerins innombrables descend vers la crypte, laquelle crypte est saturée de chaleur, saturée de cierges hauts dégoulinants de cire, plantés dans des pics en fer forgé, de bougies allumées dans leur pot de plastique rouge, de cadres de chrétiens des temps anciens et contemporains, d’ex-voto de papier jetés dans une urne transparente, de fleurs sales en plastique rose, la crypte saturée de la présence de Sara la Sainte noire dont la tête au diadème d’argent touche le plafond, Sara couverte de manteaux de voiles et de colliers, surplombant le touriste le pèlerin et celui qui s’est endetté d’une promesse de retour après un vœu exaucé, Sara sur un socle masqué, lui-même sur un sol dallé,
Sous-lequel une autre crypte voûtée, sol en terre-battue, débris de culte dans des caisses de voyage en planches estampillées de chiffres peints en noir, une tête de Christ, un branche de croix avec un bras et une main trouée, des cadres, des toiles mal roulées d’où surgissent sous la lampe des moustaches des perruques et des mitres, des pupitres en vrac des bancs un bénitier de marbre en trois morceaux, des missels mangés par les rats émergeant d’un passage bas,
sous lequel un caveau avec une momie noircie par le passage du temps sur la mort, mais aussi des tuyaux enveloppés de toiles pendantes, ou frusques de mendiants morts de froid sur le seuil, des fils gainés par endroits sous des plaques de fer à trous, des rigoles dans la pierre contenant des croûtes de marais vaguement luisantes, des pavés taillés en tas , tout neufs et prêts à servir, des amoncellements de planches, porte-manteaux, lessiveuses à manivelles, échelles sans barreaux, tabourets de traite, bacs de lavoir, squelette de chat, réjection de chouette, poussière grise et terre brune, truelle taillée dans le bois, chiffres romains dans le marbre,
A deux pas au même niveau sous la mer, des naufrages, des algues muettes, des sables non foulés, des empreintes effacées, des bancs de maquereaux, des sardines en filets, des grouillements d’anchois, du gas-oil arc-en-ciel , des blocs noirs de goudron et gravier, des pans de béton armé entassés, une fille assassinée, des araignées de mer orange, des crabes gris, des girelles vertes, des espadons, des rascasses évoluant silencieusement sous des plastiques blancs, plastiques de bouteilles de sacs de cosmétiques de barquettes de maquereaux, de sardines en filets.
j’adore tes accumulations, en particulier tes deux derniers paragraphes
on y est avec ta momie noircie par le passage de la mort
et « même plus loin sous la mer »…
Merci Françoise!
Ah oui cette accumulation à la fois drôle et triste et angoissante et ironique et réaliste et… quelle imagination ! merci
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